Je me suis récemment demandé, comme cela m’est déjà souvent arrivé, ce que Notre Dame entendait précisément dans les messages de Fatima lorsqu’elle parlait des offenses provoquées par la mode féminine des années suivant les apparitions. Lorsqu’elle est apparue à la Bienheureuse Jacinthe Marto, entre décembre 1919 et Février 1920, elle a dit : « On introduira certaines modes qui offenseront beaucoup Notre Seigneur ». Et « Malheur aux femmes qui manqueront de pudeur. »
Manifestement, Notre Dame n’est ni une puritaine répressive, ni prude. Il va sans dire qu’elle n’est pas non plus libertaire. Elle est belle en son cœur, en esprit, dans son corps et dans son âme. Elle est sans péché, et donc elle n’est pas soumise à une impudeur impie ou contre- nature ni à une honte personnelle. Elle est prudente, modeste et sage dans sa nature humaine. Elle aime avec la totalité de l’amour divin qui réside en elle, ce qui signifie qu’elle aime avec un cœur maternel, éternel, se souciant de tous et ayant en vue le bien ultime de chacun de ses enfants.
Presque toute la mode actuelle, en particulier la mode féminine, s’attaque au bien ultime de ceux qui portent ces vêtements. Elle est astucieusement conçue pour attirer, allécher et séduire, renforçant ainsi le grand mensonge qui domine la conscience moderne. Ce mensonge nous dit que notre corps est un simple objet en notre possession, dont nous pouvons faire ce que nous voulons.
La semi-nudité est devenue un lieu commun sur les couvertures des magazines, dans les publicités, à la piscine et sur la plage. La nudité totale est devenue plus fréquente dans des média tels que la télévision et le cinéma, et est sous-jacente sur internet, lieu de consommation culturelle « privé » bien plus populaire. Se juxtapose à ces phénomènes quasi-universels le fait que plus de soixante-trois pour cent des mariages aboutissent à un divorce ou à une séparation, que l’abnégation et le sacrifice sont devenus des concepts largement discrédités, et que la recherche du bonheur au moyen de satisfactions sensuelles a produit une société profondément désordonnée. Aucun peuple de l’histoire n’a bénéficié d’autant de plaisirs, et aucun peuple de l’histoire n’a jamais été aussi malheureux.
Le grand mensonge nous dit, en essence, que nous n’avons aucune valeur éternelle, que notre valeur ne doit être recherchée que dans l’étendue limitée de nos vies, et en particulier pendant les années les plus essentielles de notre jeunesse, quand nous sommes les plus forts, les plus attirants, et les plus productifs. Nous sommes, soi-disant, ce que les autres nous disent que nous sommes. Nous valons autant ou aussi peu que ce qu’ils décident que nous valons. Dans une société qui se concentre de plus en plus sur les plaisirs sensuels, cela signifie que nous n’aurons de la valeur que si nous attirons par nos sens. L’attirance, bien sûr, est subjective, et beaucoup de personnes deviendront donc objet d’intérêt pour les autres à un moment donné de leur vie. En général cela signifie qu’ils seront objet de désir. Et la première « interface » du désir, si vous voulez, c’est le corps.
Nudité ou Nu artistique
En tant qu’artiste, j’ai souvent réfléchi aux questions morales soulevées par la nudité dans le domaine artistique. Les théoriciens maintiennent qu’il y a une différence fondamentale entre la nudité et le nu artistique, distinction que je ne suis jamais arrivé à saisir, bien que je connaisse parfaitement leurs arguments. Chaque année, des légions de jeunes étudiants en art sont confrontés au même problème lorsqu’ils se trouvent pour la première fois face à un corps humain sans vêtement, dans toute sa gloire et sa pauvreté. La théorie est que ce qu’ils sont en train de dessiner ou de disséquer est un spécimen, une forme vidée de son identité personnelle. Selon cette théorie, ces jeunes professionnels ne seront pas troublés par des attirances désordonnées parce qu’ils font des actes désintéressés, dans un but éducatif – la recherche de connaissances et de talents qui seront utiles à l’humanité. Je pourrais être d’accord, mais il faut tenir compte du fait que la nature humaine ne peut pas être ainsi découpée. Je me permets de risquer l’hypothèse que même si les gens sont fermement accrochés à leurs principes, même s’ils pensent être détachés de tout cela, leurs émotions seront en lutte. Le corps humain nu sera toujours pour nous quelque chose à propos de quoi nous ne pouvons pas rester absolument neutres – précisément parce que ce « quelque chose » n’est pas une chose, et ne le sera jamais, même si nous sommes déterminés à ce qu’il le devienne. Chez les générations qui nous précèdent, il y avait pour beaucoup une peur malsaine du corps, une sorte de blessure causée par les erreurs des sectes puritaines ou de l’hérésie du jansénisme. Il est dit qu’une sévère répression de notre fascination naturelle et de notre attirance pour le corps a tout simplement enseveli les passions, qui ne ressurgissent que sous des formes désespérées, voire bizarres. Que ce soit ou non le cas, ce n’est certainement pas le problème de notre époque. Bien loin de là. Je suis convaincu que le rabâchage moderne sur une supposée répression passée n’est réellement rien de plus qu’un symptôme de notre actuelle obsession pour le sexe. Si nous devions revenir un siècle ou deux en arrière, je pense que nous trouverions alors que le vêtement de nos ancêtres était sans doute plus formel, et parfois même gênant, cependant la plupart des gens se mariaient et avaient des enfants, et étonnamment leurs mariages étaient heureux, - avec un taux enviable de réussite. Si l’on compare avec notre époque libérée et maussade, dans laquelle l’image d’un corps humain faisant des cabrioles nous est envoyée mille fois par jour sur les pages des magazines, aux caisses des supermarchés, dans les publicités pour les chewing gum à la télévision, sur les écrans d’ordinateur, et dans ce qui est porté à la plage et à l’église. La pudeur n’est plus de mise.
L’on demande parfois, en général quand on discute de la morale sexuelle : « Les catholiques sont-ils prudes ? ». « Si seulement c’était le cas ! » soupire un père exaspéré, souhaitant que nous puissions revenir à une période où les tentations sexuelles les plus extrêmes n’assaillaient pas les jeunes à chaque tournant, à une période, en outre, où notre situation présente n’aurait, pas un instant, semblée normale. Bien entendu, soupirer après une période où la moralité chrétienne était la norme dans la société est dans une certaine mesure aspirer à un âge d’or qui n’a jamais existé. Aucune société chrétienne ne l’a jamais parfaitement vécu. Cependant, à ces temps anciens et plus sages de civilisation chrétienne, quand les individus violaient la loi morale, ils savaient qu’il y avait une loi, et ils sentaient confusément que cette loi était une vérité inébranlable basée sur l’ordre divin, la vraie structure de la réalité elle-même. Il y a une génération, il aurait été impensable d’envisager jusqu’à quel point notre culture actuelle est devenue pornographique. Bien que le sexe ait toujours été présent, la génération de mes parents ne pouvait pas imaginer que des peuples entiers soient mus par l’obsession des plaisirs sexuels, comme si c’était la chose la plus importante de l’existence. Dans ma jeunesse, mes congénères pouvaient être tentés de se plonger dans certaines sections du catalogue de Sears, ou de feuilleter rapidement le magazine National Geographic à la recherche d’articles sur les régions les plus chaudes d’Afrique, ou d’approfondir leur intérêt académique pour l’Art (à treize ans) en se familiarisant avec les dessins dans des volumes tout écornés sur la sculpture grecque que nos parents estimaient inoffensifs. Mais mes enfants vivent à présent dans une société où tout – simplement tout – peut être vu en appuyant sur une touche d’ordinateur.
Du haut de mon expérience d’adulte mûr, père de six enfants, et époux d’une femme bien-aimée, j’en suis venu à penser que l’homme occidental a manqué le but, toujours perdu aux antipodes de deux désordres. Le libertaire, obsédé par les passions, pense que nos problèmes sont provoqués par la répression et qu’ils seront soulagés si nous rejetons nos inhibitions. Le prude ou le puritain, haïssant ou ayant peur des passions, croit que nos problèmes ne proviennent que de nos sens, et souhaite les ensevelir dans les profondeurs de son être. Aucune de ces personnes n’a une vision chrétienne du corps.
La « théologie du corps » de Jean Paul II
De septembre 1979 à avril 1981, le pape Jean Paul II a donné une série de soixante-trois allocutions qui sont devenues les fondements de ce qui est à présent connu comme la « Théologie du Corps ». Au cours de ces allocutions, il réfléchit sur la signification de la personne humaine, de la sexualité, et du mariage chrétien. Il enseigne que le deuxième et troisième chapitre de la Genèse révèle la vérité sur l’homme, car y sont inscrites les « expériences humaines originelles », qui « sont toujours aux racines de chaque expérience humaine ». Nous sommes faits à l’image de Dieu, dit-il, cependant nous ne savons pas qui nous sommes si nous ne savons pas qui est Dieu.
Dans le Jardin d’Eden, l’amour d’Adam et Eve l’un pour l’autre était un don mutuel de tout leur être, une « auto-donation » de leur personnalité faite par des actes libres de leur volonté. Le don de leurs pouvoirs sexuels, leur masculinité et leur féminité, était en soumission harmonieuse à ce don mutuel. Ils désiraient, plus que tout autre chose, le bien de leur époux, le bien de la totalité de l’être de l’autre. C’était l’amour total. « Et l’homme et sa femme étaient tous deux nus, et ils n’avaient pas honte, » dit l’auteur de la Genèse. Le Pape souligne que ces passages n’expriment pas un manque mais, au contraire, « servent à indiquer la plénitude de la conscience et de l’expérience. »
La honte n’apparut qu’avec le péché dans la nature humaine, et à ce point, nos premiers parents n’avaient pas encore péché. La nudité était un état de liberté dans lequel ils pouvaient parfaitement exprimer l’amour avec leur corps comme un des « langages » du cœur. Mais avec l’entrée du péché dans le monde, arriva ce que le Saint Père appelle « un trouble fondamental dans l’existence humaine. » Il y eut « une fracture constitutive au sein de la personne humaine, presque une rupture de l’unité originelle spirituelle et somatique (physique) de l’homme. »
Il nous est presque impossible de vivre la nudité comme nos premiers parents l’ont vécue. Nous avons honte quand nous sommes nus, phénomène qui témoigne en quelque sorte du désordre causé en nous par le péché originel, et qui, en même temps, nous pousse à réfléchir sur la façon dont les choses auraient dû être. Si l’on considère que toute autre créature sur terre est totalement à l’aise sans vêtements, la gêne de l’homme est pour le moins surprenante. Ce sentiment d’une gêne est lié à la base à la connaissance du bien et du mal, au fruit que nous avons goûté lors de la Chute. Avant l’âge de raison (âge de la connaissance du bien et du mal), les enfants sont rarement concernés par la pudeur. Les tout-petits dans notre famille, par exemple, affichent un mépris innocent pour la pudeur, et sont fascinés par leur propre corps. Les organes sexuels sont tout aussi intéressants (ou aussi peu) que leurs doigts et orteils. Mais vers l’âge de cinq à sept ans, sans être peu (et parfois pas du tout) sollicités par leurs parents, nos enfants commencent à faire plus attention à l’heure du pyjama, du bain, ou lorsqu’il faut courir dans toute la maison à la recherche de sous-vêtements. Ils veulent leur « intimité ». Bien entendu, cela ne reflète pas une anxiété non déclarée exprimant qu’ils sont en danger d’exploitation sexuelle – car ils ne connaissent même pas l’existence d’une sexualité non déguisée à cet âge-là. Agit, ici, un instinct profond qui est enraciné dans la Chute, un sens latent du danger pour leur personnalité qui commence avec ce péché originel. A un niveau très profond, chacun d’entre nous sait que nous pouvons être aimés pour ce que nous sommes en tant que personne, et qu’être évalué ou non évalué selon nos qualités sexuelles consiste à être aimé d’une façon incomplète, voire déformée, ce qui consiste, en fait, à ne pas être aimé.
En 1960, Karol Wojtyla a écrit un livre intitulé Amour et Responsabilité, dans lequel il aborde l’instinct humain universel qui cache aux yeux des autres nos qualités sexuelles. L’homme occulte ces aspects de son être parce que « le besoin spontané d’occulter les valeurs sexuelles liées à la personne est une façon naturelle de découvrir la valeur de la personne en tant que telle. » Il ajoute que « le sentiment de honte va de pair avec la prise de conscience qu’une personne ne doit pas être un objet utile en raison des valeurs sexuelles qui lui sont attachées… et avec la prise de conscience qu’une personne du sexe opposé ne doit pas être considérée (même dans ses pensées intimes) comme un objet utile. » Bien entendu, par « honte », il ne veut pas dire un sens morbide d’auto négation, et d’horreur du corps, ou des attitudes puritaines. Plutôt le contraire, car la « honte » correctement comprise est un moyen de protéger et de conférer de la dignité à la personne. Ce sont ceux qui ne s’estiment pas eux-mêmes qui deviennent « sans honte ». Les couples mariés vont au-delà de la honte d’une façon complètement différente, parce qu’ils se sont choisis et ont remis tout leur être à l’autre, et par conséquent ne ressentent aucune gêne à être vus nus par l’autre.
En croyant au mensonge
Au début, Adam et Eve ont la possibilité d’exprimer parfaitement leur personnalité à travers leur corps. Il n’y avait pas de lutte intime entre leurs volontés et les désirs de la chair. Le diable ne pouvait pas les tenter par l’intermédiaire de la sensualité, comme il nous tente si continuellement. Il n’a pas séduit Adam et Eve par la description des textures, vues et goûts délicieux du fruit de l’arbre défendu, car une telle approche n’aurait pas le moins du monde touché nos premiers parents. Le seul et unique espoir de succès du diable résidait dans un assaut contre leur intelligence, dans leur compréhension de l’ordre exact de la création, en instillant un doute radical dans leurs esprits : « Est-ce que Dieu a réellement dit cela ? » a-t-il suggéré.
Cette question apparemment simple perturbe les croyants depuis lors. « Est-ce que Dieu a réellement dit cela ? » apparaît sous plusieurs formes dans des situations sans nombre, toutes répétant le premier péché mortel. C’est une vieille tactique de l’ennemi, et sa préférée, car c’est celle qui marche le mieux. Quand la chair ne peut pas être tentée, l’orgueil le peut généralement, et le premier exégète du monde le sait très bien.
La séduction première combat sur deux fronts : saper la compréhension par Adam et Eve de ce que Dieu est, et déformer leur compréhension d’eux-mêmes. Le serpent a dit à Eve qu’elle pouvait devenir comme Dieu si elle mangeait le fruit que Dieu leur avait interdit de manger. La part la plus subtile et horrible du mensonge était de laisser entendre que Dieu ne voulait pas qu’ils mangent de ce fruit parce qu’il ne voulait pas partager son autorité sur la création. Qu’Adam et Eve aient déjà reçu autorité sur la création, en nommant et en connaissant toutes choses par amour, semble leur avoir échappé au moment de la tentation. Peut-être le grand illusionniste a-t-il aveuglé cette perception avant de leur souffler ce mensonge.
Quand ils disent oui au mensonge, l’obscurité les pénètre. L’harmonie de leur vie intérieure commence à se fissurer jusqu’à ce que le cœur et l’esprit deviennent deux parts séparées d’eux-mêmes, travaillant l’une contre l’autre, brisées, en lutte pour se réunir et incapables d’y arriver complètement. Adam et Eve se regardent l’un l’autre et ils n’aiment plus ce qu’ils voient. Ils regardent l’esprit de l’autre et voient un esprit qui a cru à une illusion, un esprit dans lequel on ne peut plus avoir confiance. Ils regardent le cœur de l’autre et voient un cœur qui s’est détourné du grand Amour qui les a faits. Et alors ils voient la chair et la touchent, et à leur grande surprise ils y trouvent encore du plaisir.
Ainsi la luxure est-elle entrée dans le monde. Bien que cela ait semblé bon à leurs sens, ce centre mystérieux de leur être, leur personnalité, se sent froid et à part. Désormais leur plaisir réside au milieu d’un sentiment angoissant d’une perte, l’angoisse du souvenir de ce qu’ils ont été un jour. Cette vérité leur devient trop dure à supporter et ils s’éloignent l’un de l’autre dans l’obscurité. Seul le puissant magnétisme des sens les fait revenir vers l’autre. Alors ils se regardent à nouveau l’un l’autre, et ils se désirent, et quand ils savent qu’ils n’aiment qu’une partie de ce qu’ils ont été l’un pour l’autre, ils ont honte. La Genèse note que « ils savaient qu’ils étaient nus ; et ils cousirent des feuilles de figuier ensemble et s’en firent des pagnes. ». Le Saint Père souligne que « Ce passage parle de la honte mutuelle de l’homme et de la femme comme un symptôme de la Chute ».
Quand Dieu leur demande un compte-rendu de ce qui s’est passé, ils ont à nouveau honte, car ils savent qu’il sait ce qu’ils ont fait. Ils ont peur et la peur chasse l’amour qu’ils ont pour Lui, qu’ils connaissaient et avec qui ils avaient marché dans le Jardin, il y a longtemps au temps de l’unité originelle. Il les avait faits pour lui, et ils ont abandonné son amour pour une supercherie astucieuse. Ils ne partagent plus la vie du paradis. Ainsi sont-ils chassés du Jardin d’Eden. Sans doute y-a-t-il eu un ange qui les a chassés, tout comme la Sainte Ecriture le rapporte, mais même sans cet ange ils auraient probablement été chassés du Jardin d’Eden, car c’était le lieu de leur unité originelle, à présent si brisée, si trahie. Eux et leurs descendants seront par la suite des étrangers et des résidents sur la face de la terre, ayant toujours la nostalgie d’un vrai chez soi, sans jamais le trouver ; aspirant toujours à l’union et à la communion, et sans jamais les trouver ; toujours sujets aux désirs de la chair, ne parvenant jamais à la pleine compréhension de l’autre, égocentriques, égoïstes, oscillant entre l’humiliation et l’orgueil dans une trajectoire instable à travers le temps. Cette aliénation, cette désintégration, ce manque de contrôle sur leurs corps, était certainement une juste conséquence de leur choix. Il était important qu’eux qui avaient voulu régner sur la création en étant à égalité avec Dieu réalisent qu’ils n’avaient même pas autorité sur leur propre chair. Dans leur propre corps et leurs sentiments, ils devaient connaître les effets de leur désobéissance apparemment abstraite.
Après le péché originel, l’esprit et la volonté ne pouvaient plus maîtriser le corps. Le corps était en opposition avec la volonté – et c’était souvent le plus fort. Même de nos jours, quand un homme ou une femme sont dominés par la luxure, le don de l’amour devient presque impossible. Plutôt qu’une auto-donation, comme le Saint Père l’appelle, la personne contrainte par le désir de la chair recherche une auto-gratification par le biais de l’autre comme objet de plaisir. Il recherche dans un morceau le tout qui est absent – ce qui est, je pense, une définition efficace de l’idolâtrie.
Une des choses les plus curieuses survenues lors de la période pendant laquelle Jean Paul II a donné ses conférences sur la « Théologie du Corps » fut la réaction de la presse mondiale. Car la plupart des journalistes ne savaient pas de quoi il parlait, et ceci, malheureusement, fut aussi le cas de beaucoup de media catholiques. Cependant, à un moment de sa conférence, il assura que si un mari regarde sa femme avec luxure, il est coupable d’un grave péché. Cela déclencha soudain un véritable tumulte au sein de la presse mondiale. La déclaration du Pape semblait si complètement absurde que plusieurs commentateurs trouvèrent que c’était plus une farce qu’une erreur. Cette réaction montra combien les gens connaissent mal leur propre nature. Ils ne pouvaient pas saisir la différence entre, d’une part l’utilisation égoïste d’une épouse, et d’autre part la sexualité passionnée se basant sur un amour généreux pour sa propre épouse. Le Pape ne suggérait pas du tout que le désir sexuel est un péché en lui-même. Il voulait dire que, les actes sexuels ou les attitudes qui font de l’épouse un objet utilisable, sont peccamineuses. Il demandait aux personnes mariées de sonder les motivations de leur cœur.
Suis-je dans mon corps ?
Au cours des siècles derniers, la dimension de la personne humaine a progressivement été réduite dans la conscience sociale, et étrangement, on a vu apparaître de la même façon la montée en puissance de l’homme maître de la création. L’homme sans la Foi se voit lui-même, consciemment ou inconsciemment, comme le maître de tout ce qu’il est et de tout ce qu’il étudie. Le corps n’est plus considéré comme une dimension intégrale de tout l’être de tout son être, mais comme une chose qu’il possède, comme tout autre objet lui appartenant. Ironiquement cette façon de voir confère rarement la maîtrise de soi.
Même nous chrétiens, nous n’avons pas très bien résisté à de telles erreurs, en partie parce que nous n’avons pas étudié la théologie du corps, vide que le Saint Père tente de combler. Je pense que la plupart d’entre nous a une vague notion du corps comme un contenant dans lequel nous sommes – quelque chose comme les pauvres prisonniers que mes enfants rapportent de temps en temps à la maison : des lucioles ou des papillons voletant dans une bouteille.
Tous nos enfants nous ont demandé à un moment ou un autre, « Papa, suis-je dans mon corps ou suis-je mon corps ? »
Le regard de perplexité et d’intense curiosité sur leur visage quand ils posent cette question est un signe que ces questions cheminent de leur âme jusqu’à leur conscience. Mais comment expliquer ceci à un enfant de six ans, ou de douze ans, ou à une personne de cinquante ans ? Bien sûr le corps n’est pas un réceptacle, ni simplement un organisme biologique, ni une machine. Il ne peut pas être possédé, manipulé, utilisé, acheté, vendu ou violé sans que quelque chose de radical et de négatif n’affecte le bien-être d’une personne. C’est pourquoi le Pape a tant insisté sur la luxure dans le mariage. Le corps est une part du don de la vie que Dieu nous a fait. Nous sommes en exil et affaiblis, mais nous sommes aimés de Dieu et capables de partager son amour divin. Nous sommes faits à son image et à sa ressemblance. Nous sommes abimés mais non détruits. Depuis l’Incarnation, notre chair a reçu une signification nouvelle, car nous sommes à présent les temples du Saint Esprit, et le Christ demeure en nous.
Saint Jean Damascène a écrit une fois que quand l’homme a péché pour la première fois, il a gardé l’image de Dieu mais a perdu la ressemblance avec Dieu ; et depuis la venue du Christ nous sommes libres d’être restaurés dans l’unité originelle. Donc, tout affaiblissement de cette vérité est une offense à Dieu ; tout mal fait à notre corps ou au corps des autres est en définitive un acte contre l’Amour. Dans son encyclique sur la famille, Familiaris Consortio, Jean Paul II enseigne que Dieu appelle l’homme à l’existence à travers l’amour et par amour :
« Dieu est Amour, et il vit en lui-même un mystère de communion personnelle d’amour. En créant l’humanité de l’homme et de la femme à son image et en la conservant continuellement dans l’être, Dieu inscrit en elle la vocation, et donc la capacité et la responsabilité correspondante, à l’amour et à la communion. L’amour est donc la vocation fondamentale et innée de tout être humain… L’amour conjugal comporte une totalité où entrent toutes les composantes de la personne – appel du corps et de l’instinct, force du sentiment et de l’affectivité, aspiration de l’esprit et de la volonté, il vise une unité profondément personnelle, celle qui, au-delà de l’union en une seule chair, conduit à ne faire qu’un cœur et qu’une âme ; il exige l’indissolubilité et la fidélité dans la donation réciproque définitive et il s’ouvre sur la fécondité. »
Liberté et Responsabilité dans les choix culturels
Dans Amour et Responsabilité, Karol Wojtyla a souligné que le rationalisme scientifique de l’homme moderne a obscurci l’ordre sacré de la création, et il nous est ainsi plus difficile de comprendre les principes sur lesquels se base la morale sexuelle catholique. Il dit que l’ordre de la création, que nous appelons Loi Naturelle, trouve son origine dans la volonté divine de Dieu le Père. On ne peut pas y toucher. Changer l’ordre de l’existence est un droit qui n’appartient qu’au Seigneur lui-même. Quand le Christ a marché sur les eaux, multiplié les pains et les poissons, et (le plus remarquable de tout) ressuscité des morts, il a exercé son droit divin. Les apôtres l’ont compris et l’en ont béni. Seul le Créateur, qui a autorité sur toute la création, peut suspendre les lois de la création. Mais même dans sa toute-puissance Dieu ne viole jamais l’ordre moral de l’univers. Tout au long des Evangiles, Jésus agit toujours en toute responsabilité.
Les scientifiques étudient aussi trop souvent la biologie humaine comme si elle était séparée de l’ordre moral. Puisque le corps révèle la signification de la personne humaine, l’étude de la biologie humaine devrait toujours chercher à comprendre la totalité du mystère de la personne humaine. A cette lumière, la stérilisation, la contraception, l’avortement, la mutilation, l’expérimentation sur les fœtus, et les domaines de plus en plus étendus de bio-ingénierie sont des actes de violence contre l’humanité et des insultes à Dieu. Le médecin, par exemple, ne devrait pas être simplement un technicien, une sorte de bricoleur mécanique du moteur de la chair humaine nue séparée de sa signification dernière. Il doit servir son patient en prêtant à la signification de la totalité de son être, comme Dieu l’a conçu « dès le commencement ».
De même, si un artiste peint un sujet humain nu, il doit en faire un portrait qui nous permette de prendre conscience de la totalité de la vérité sur l’homme – comme c’est le cas dans « Adam et Eve chassés du paradis » par Masaccio. Bien que les personnages de ce tableau soient nus, leurs corps ne sont pas le but premier. Le peintre cherche plutôt à révéler la vérité sur leur état d’esprit intérieur. Bien que la prudence exige que certaines scènes soient présentées avec une certaine retenue, elles ont leur place tant que la signification finale et la dignité des personnages humains priment. Faire du corps une fin en soi, c’est de la luxure qui peut être une forme d’idolâtrie.
L’Eglise maintient que dans chaque acte libre, que ce soit dans le domaine de la créativité, de l’amour conjugal, de la recherche scientifique, de la mode, etc. il doit y avoir une responsabilité parallèle, sur toute la vérité sur l’homme. Dans tout acte humain, nous devons respecter la dignité humaine, celle des autres comme la nôtre. Par exemple, une jeune fille qui envisage de porter des vêtements provocants devrait réfléchir à deux fois sur l’effet que cela aura aux yeux des jeunes hommes - car les provoquer délibérément de cette façon fait plus que leur offrir une occasion de pécher ; c’est aussi une insulte voilée, et aussi une insulte à elle-même. Un scientifique qui détruirait un enfant dans un but de recherche, prétextant que ses connaissances accrues profiteront à d’autres enfants, a en fait dévalué tous les enfants. Un réalisateur de film qui montre l’acte conjugal au nom du « réalisme » nuit au Réel en général en sapant les fondements moraux sur lesquels s’appuie la vérité. Quand l’Eglise condamne de telles activités, elle ne s’oppose en aucun cas à la science, à la culture et n’agit pas par pruderie, car elle n’a qu’un seul objectif : nous libérer afin nous nous connaissions comme nous sommes vraiment, et que nous nous évaluions selon une mesure qui est la plus élevée et la plus éternelle. Elle nous protège aussi de ces théoriciens qui souhaitent recréer l’homme à leur propre image – éternelle tentation de ceux qui ont la connaissance et le pouvoir – « Vous serez comme des dieux ».
Retour au Paradis Terrestre ou en marche vers le Paradis ?
Il nous est impossible de revenir à l’état d’innocence originelle. La Chute de l’Homme n’était pas simplement une erreur malheureuse, qu’il vaut mieux oublier, comme si nous pouvions résoudre ce problème dans sa totalité en prétendant qu’il n’a jamais existé. (Ceci, en effet, est ce que les adeptes du nudisme aimeraient que nous croyions). Cela ne marche pas. C’est un mensonge. Les portes du Paradis Terrestre restent résolument fermées. L’erreur a été faite et il faut en tirer une leçon sur l’état de l’univers et ce qui en découle. Cependant Dieu dans Sa miséricorde infinie et dans Sa justice a envoyé son Fils Unique pour nous sauver de la tyrannie des mensonges. Jésus a accepté de subir l’humiliation d’être dénudé, et dans son agonie morale jointe à son agonie physique il porte la souffrance de nos mauvais choix. Il a ainsi accompli la rédemption de chaque facette de notre être, y compris notre corps. Il a expié pour tous les désordres dont la chair est héritière. Nous ne pouvons pas retourner au Paradis Terrestre, mais le Christ nous a ouvert la voie de la restauration de l’unité originelle dont nous bénéficions avant la Chute. Il nous appelle à combattre à chaque instant pour agir en conformité avec les vues originelles de Dieu de telle sorte que nous puissions un jour hériter de notre vraie identité. « Car on ne voit pas encore ce que nous serons » dit St Jean (I. Jean 3. 2-3). Cependant nous le savons en partie, car on nous a dit qu’au Ciel après la « résurrection de la chair » nous aurons pour toujours de nouveaux corps glorieux. En attendant, le Seigneur nous assure que sa grâce nous suffit. Il veut que nos corps expriment notre personnalité dans sa totalité, soit dans le célibat, soit dans un chaste amour conjugal. Avec la grâce surnaturelle dispensée par les sacrements de l’Eglise et demandée par la prière, il est possible d’apprendre à aimer pleinement, de savoir ce que nous avons été, et ce que nous pouvons devenir. Les marques de notre ancienne défaite sont transfigurées dans le Christ. Ce sont les images de l’unité bénie qui nous attend, et pour laquelle il a payé le prix. Notre tâche est de coopérer avec la grâce, de porter la part de la croix chaque jour de notre vie, de combattre contre les mêmes forces qui l’ont dénudé et qui ont avili sa chair. Dans ce combat, la pudeur garde notre personne comme un mur autour d’un palais, et les sentiments de honte comme un invisible gardien des portes. La honte engendre aussi le repentir. Le repentir desserre l’étau de l’égoïsme, et permet le début du travail de l’amour vrai. Et quand l’Amour aura accompli son œuvre, il n’y aura plus de honte.
Nous ne devons pas sous-estimer l’urgence de cet appel au combat, ni oublier que notre adversaire est décrit par les Ecritures comme le plus intelligent de toutes les créatures. Le Christ nous invite à rester éveillés et à être vigilants, étant calmement attentifs aux tactiques du diable, en particulier à son intérêt particulier pour les enfants. Les tentations débutent généralement par de « petits » compromis, mais nous devrions être conscients que le but de l’ennemi est de nous conduire petit à petits vers de plus grands. Il nous est difficile de résister à l’énorme pression exercée par une société immorale, car il est dans notre nature de chercher le bonheur de nos enfants. Et les jeunes peuvent être très malheureux quand on résiste à leur désir d’être à la mode. Mais nous devons avoir une vue à long terme. Dieu notre Père veut que nos enfants soient heureux éternellement, aussi devons-nous toujours garder devant les yeux de notre cœur leur vrai bonheur. Les temps sont très mauvais, ils sont sans aucun doute atteints d’une maladie mortelle. « La culture de mort », ainsi que l’appelle le Saint Père. Et il entend bien plus que la mort du corps. En l’espace d’à peine un siècle, la société occidentale est passée d’une culture chrétienne à une culture dé-spiritualisée, puis à une culture déshumanisée. L’étape suivante est la diabolisation de la culture, un processus qui a déjà commencé. A ce stade de la grande guerre entre le bien et le mal, nous devons nous tourner avec une grande confiance vers Notre Dame, lui demandant les grâces particulières de sagesse, prudence et pudeur pour nos jeunes. Chaque jour nous devrions invoquer sa protection contre l’esprit du monde et l’esprit de notre vieil adversaire. Si nous le faisons, elle nous aidera à voir dans notre vie où nous avons été trompés. Elle nous aidera à trouver une meilleure voie, si nous répondons à l’effusion de grâces. Alors nos enfants apprendront à aimer plus pleinement. Et ils seront aimés pour ce qu’ils sont vraiment.
Mikael O’Brien (12 janvier 2005)