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La saga Twilight

 

Twilight est le titre du film à la mode sorti en 2008, qui rencontre beaucoup de succès auprès des adolescents, surtout les filles ; le 2ème film est sorti en novembre 2009 et le 3ème sera pour 2010 ; c'est l’adaptation à l’écran de chacun des quatre tomes de la saga écrite par une Américaine, Stephenie Meyer, et parue en 2006 : Fascination, Tentation, Hésitation, Révélation. Ces films sont des adaptations fidèles, hormis la suppression de quelques éléments étranges ; la belle musique, la jolie actrice et le séduisant acteur ne contribuent pas peu à mettre en valeur une histoire d'amour que l'on n’hésite pas à comparer à celle de Roméo et Juliette ; il s’agit en effet d’un amour impossible, rendu possible malgré tout : de quoi faire rêver…

 

Lors de vidéos clubs ou débats avec des adolescentes sur les livres et les films "Twilight ", les arguments invoqués par celles-ci pour rendre compte de leur engouement plus qu’enthousiaste reviennent invariablement à ceux-ci : "c’est trop bien parce que l’histoire d’amour est trop bien ; c’est un amour parfait, un amour de rêve ; ils sont faits l’un pour l’autre, Edward est toujours trop gentil avec Bella". A l’objection : "mais c’est un vampire…", la réponse fuse : "oui, mais il est gentil, c’est un bon vampire, et il est trop beau, et en plus il la sauve des mauvais vampires ; d’ailleurs les vampires n’existent pas, donc c’est juste pour rêver". Si l’on pousse un peu l’objection : "comment font-ils pour s’aimer, n’est-ce pas dangereux ?", la réponse est : "justement, c’est génial parce qu’Edward est tellement beau et fort que pour éviter de mordre Bella, de sucer son sang, de la vampiriser et/ou de la tuer, il s’exerce à se maîtriser quand il l’embrasse et il refuse de coucher avec elle tant qu’ils ne sont pas mariés !". Tout paraît donc très bien organisé, et le fait qu’ils "attendent avant le mariage" est un élément qui impressionne fort les milieux cathos, au point qu’il n’est pas rare d’entendre ce soupir de soulagement : "enfin, une jolie histoire sans coucheries !"

Titillons encore un peu notre cercle de jeunes twilightophiles : "et quand ils sont mariés, comment font-ils ?" ; à ce moment-là, pour la première fois, on sent une certaine gêne : "ah ben là, en fait, c’est vrai qu’Edward a beau se maîtriser, il est assez violent et Bella se réveille avec des bleus partout, mais elle l’aime tellement qu’elle ne s’en rend pas trop compte ; et après, c’est vrai qu’Edward va "transformer" Bella (c'est-à-dire la mordre pour la rendre vampire), mais elle ne demande que ça. Donc tout finit bien, ils peuvent vivre leur amour" . Quelques raclements de gorge :"c’est vrai qu’elle devient vampire, mais bon, c’est du fantastique, ça n’existe pas !"

Pour résumer : ce qui est bien, c’est l’histoire d’amour, et les vampires lui donnent un côté sulfureux fort apprécié des adolescents. Mais tout cela mérite quelques questions ; les poser et aller jusqu’au bout des conséquences qu’elles entraînent, voilà bien le but de ces débats avec nos adolescentes ; faire la part des choses, discerner le vrai du clinquant, comprendre ce qui est dit dans cette saga. Rêver n’est pas interdit, mais réfléchir non plus, et il est fortement conseillé de réfléchir à ce qui nous fait rêver …

Quels sont donc les enjeux de Twilight ? Sont-ils si anodins lorsque de jeunes fans de moins de 15 ans, ayant demandé à les discerner lors de ces cercles, en arrivent à les déclarer "pervers" et "malsains"? Que penser de cette fascination, au sens propre, pour … Fascination ? Pouvons-nous continuer, adultes en charge de l’éducation, à hausser les épaules ("ce n’est pas grave, ça passera") quand les intéressées elles-mêmes, ce public d’adolescentes visé au premier chef, avouent s’être plongées de façon "anormale" dans ces livres qui, peut-être, les ont "fait rêver", mais aussi les ont "inquiétées ", "troublées", "enfermées dans leur imagination", selon leurs propres expressions ?

 

I/ L'IMPACT DE L'IMAGINAIRE

Un petit tour à l'intérieur de la saga ne sera pas inutile.

TOME 1 Bella, jeune fille de 17 ans, déménage de Phoenix (Arizona) pour aller chez son père à Forks, toute petite ville à la lisière d’une réserve d’Indiens ; sa mère, charmante mais irresponsable, et son père, bon mais plutôt ours, sont divorcés. L’histoire est vue à travers Bella car c’est elle la narratrice ; l’identification avec le personnage principal est donc facile. C’est une fille bien d’aujourd’hui, vite mûrie par une situation familiale lourde à porter .

Elle rencontre alors celui qui va bouleverser sa vie ; dans son lycée voici cinq étranges jeunes gens, trois garçons et deux filles, qui restent ensemble, ne se mêlent pas aux autres, et surtout sont d’une beauté irréelle, époustouflante "jusqu’à l’absurde", dit le texte (mais dans le film on reste sceptique …). Très vite, l’un d’eux, Edward, attire irrésistiblement Bella ; mais son attitude est étrange : il la fuit, puis la recherche. Bella comprend assez vite, d’après plusieurs indices qu’Edward et ses "frères et sœurs" ne sont pas des êtres humains normaux, mais des vampires… elle n’en est pas effrayée, plutôt excitée.

Or, tous les deux sont fous amoureux, et voilà l’amour impossible ; car Edward a soif de sang humain et particulièrement de celui de Bella ; voilà pourquoi il l’a fuie au début. Mais il a réussi à se maîtriser, et Bella apprend qu’il appartient à une famille, ou à un clan, des vampires civilisés, propres, rangés, "végétariens": ayant horreur de leur condition (car ils étaient des hommes normaux, rendus vampires par la morsure d’un vampire), ils se sont exercés à "faire abstinence", c’est-à-dire à contenter leur soif de sang humain par un ersatz, le sang animal. Ascèse admirable et qui force le respect ; le père adoptif d’Edward, Carlisle, qui a réuni cette fratrie autour de lui, est un médecin qui se dépense pour sauver les vies humaines.

Voilà donc la réponse à la première question : ce sont des vampires, mais bons.

Ainsi, Edward impose des règles à Bella ; il n’est pas question d’union sexuelle, pour éviter de la blesser, et il faut êtres "sages" lors des caresses et des baisers, à cause des dents d’Edward aigües comme des rasoirs et pleines de venin….on peut se demander comment réagit Bella ; loin d’avoir peur, elle en redemande plutôt, tant son attirance pour Edward est irrépressible ; le moindre contact la met en transes ; ce n’est pas sur elle qu’il faut compter pour maintenir des relations "soft".

Et l’alternative se pose, qui ne sera résolue qu’au tome 4 : puisque le danger est si grand, qu’Edward "transforme" donc Bella et tout sera réglé. Mais Edward refuse catégoriquement, car il se voit comme un monstre, et veut laisser à Bella sa vie humaine ; celle-ci s’en moque bien et préfèrerait de beaucoup laisser cette nature humaine sans intérêt pour entrer dans le monde des vampires. On entrevoit là une question de fond…traitée plus loin.

L’"héroïsme" d’Edward est particulièrement mis en valeur à la fin du tome 1, lorsqu’il sauve Bella des griffes d’un méchant vampire qui l’a mordue ; le venin se répandant dans ses veines, elle ne peut être sauvée que par l’intervention d’Edward qui a le courage de sucer le venin avec son sang, en se maîtrisant assez pour arrêter à temps d’aspirer ce sang qui lui fait perdre la tête…"Magnifique" acte d’héroïsme dans le sacrifice de soi.

 

TOME 2 Bella et Edward filent le parfait amour et passent le plus clair de leur temps ensemble. Mais leur amour passe par l’épreuve : Bella est constamment en danger au milieu des vampires, mêmes bons, car il suffit que son sang coule (par une simple entaille) pour que l’un d’eux se jette sur elle. Edward refuse alors de continuer cette relation et quitte Bella ; là encore, c’est de l’héroïsme de sa part, car il se sacrifie pour celle qu’il aime follement. Bella qui croit qu’il ne l’aime plus, sombre dans une sorte de dépression très profonde, étrange ; pour exprimer cela, l’auteur fait se succéder plusieurs pages vides, sans rien d’autre que le numéro du chapitre. Le message est clair : sans Edward, la vie n’est que néant pour Bella : thème de l’amour fou, universel. "Aimer donne le pouvoir de briser l’autre".

Elle est tirée de son marasme par son meilleur ami, Jacob, qui lui fait un peu reprendre goût à la vie ; mais le désespoir est toujours latent : elle flirte avec le danger, se grise de vitesse sur sa moto.

Un jour, elle retrouve Alice, une des "sœurs" d’Edward ; sa réaction est immédiate : enfin, revoir un vampire ! Elle apprend qu’Edward la croyant morte, va se suicider : il va s’exposer aux représailles des chefs du monde des vampires, les Volturri, en montrant aux simples humains qu’il est un vampire, ce qui est strictement interdit par les lois des vampires ; les Volturri ne manqueront pas de le mettre à mort, et c’est ce qu’il veut puisqu’il croit Bella morte. Il convient de signaler ce qui est dit au passage des moyens envisagés froidement par Edward pour révéler sa vraie nature aux humains : ou montrer sa peau "étincelante" au soleil, ou soulever d’une main une voiture, ou … "chasser" en ville, c’est-à-dire tuer des humains et boire leur sang …Bella se précipite pour le retrouver ; suit une scène très étrange dans une cave du château où les deux amoureux font face à ces terribles Volturri, dont la puissance est telle qu’ils peuvent torturer ou tuer par la simple pensée ; Edward et Bella s’en sortent sans trop de mal, mais il n’en est pas de même pour un groupe de malheureux touristes qui croient visiter un château et se font atrocement tuer par les Volturri. Les détails de cette scène ne sont pas explicites, mais l’atmosphère générale en est plombée et inquiétante, au point qu’une jeune lectrice, parmi les plus "fans", avoue qu’elle a eu dans ce chapitre l’impression "d'entrer en enfer" sans savoir expliquer pourquoi.

Bella et Edward, eux, sont dans les bras l’un de l’autre ; Bella supplie Edward de la transformer, et celui-ci accepte à condition qu’ils se marient d’abord, car il veut tout "faire dans les règles". Nous verrons pourquoi.

 

TOME 3 L’intrigue se corse ; car Jacob est lui aussi fou amoureux de Bella et il n’est pas non plus ordinaire : c’est un loup-garou…or, loups-garous et vampires se livrent une guerre sans merci ! On n’a pas de peine à faire le lien entre cette histoire et celle de Juliette coincée entre Capulet et Montaigu ! le suspense tient donc au choix de Bella : Edward ou Jacob ? Voilà qui ne peut que faire beaucoup rêver une fille : être aimée éperdument par deux garçons, plus beaux, séduisants, virils et protecteurs l’un que l’autre, et ennemis jurés !

Bella choisit Edward tout en se désespérant de désespérer Jacob, qu’elle aime aussi…

Mais choisit-elle vraiment Edward ? Ce point sera à élucider.

 

TOME 4 Enfin c’est le mariage "dans les règles", exigé par Edward qui a voulu aussi faire sa demande à genoux, passer la bague au doigt de Bella et l’appeler sa "fiancée". Bella trouve tout cela risible, mais accepte tout pour en arriver à son but, sa "transformation". Le mariage, le voyage de noces et la nuit de noces sont décrits avec force détails tout à fait passionnants pour un public de filles. Une page est à louer : le sentiment de pudeur qui envahit la jeune épousée au moment de se décider à rejoindre son mari lors de la nuit de noces ; elle qui a tant cherché à se donner avant le mariage, comprend cette fois que cet acte n’est pas anodin et que seul un authentique amour, fondé sur une confiance totale, peut la pousser à ce don d’elle-même.

Mais le bonheur tourne au cauchemar : Bella est enceinte ; mais de quoi ? vampire ? humain ? Quoi qu’il en soit "l’enfant" se développe à toute vitesse et semble la "dévorer" de l’intérieur ; un mois de cette étrange grossesse équivaut aux neuf mois normaux ; et Bella est hâve, terriblement amaigrie, mourante. Edward est désespéré et veut la faire avorter de cette "chose"; Bella refuse. Pour tenter de la sauver, Carlisle lui fait alors…boire du sang humain à pleine tasse. Vous avez bien lu ! Mais rassurons-nous, il s’agit du sang qu’on trouve dans les réserves d’hôpitaux, puisque Carlisle est médecin… Ce traitement fait beaucoup de bien à Bella, qui plaisante : "c’est mon premier acte vampirique !"…

L’accouchement est affreux ; Bella va mourir, déchirée par cet "enfant" mi-homme, mi-vampire ; alors Edward lui injecte son venin en plein cœur pour la "sauver" d’une mort certaine. Le venin se répand en elle et "brûle" toutes les cellules de son corps pendant des heures. La souffrance est atroce.

Lorsque la "transformation" est achevée, Bella est devenue vampire. le chapitre s’intitule "Renaissance", dans un tome qui, rappelons-le, s’appelle Révélation; car, comme nous le verrons, être vampire, c’est devenir beau, fort, agile, rapide, sensoriellement surdéveloppé, immortel ; quelques petits détails gênants : pendant quelque temps, elle a les yeux rouges vif, le temps pour elle de s’habituer à se passer de sang humain …De plus on l’empêche pendant ce temps de s’approcher de son enfant, car elle pourrait le mordre… Enfin, elle va chasser : la voici prédatrice, reniflant l’odeur des animaux, bondissant sur sa proie, trouvant instinctivement la veine jugulaire, la tuant d’un coup de dent, puis buvant son sang…Devenir vampire, serait-ce aussi devenir bestial ?

Après mille péripéties et une horrifique bataille finale entre bons et méchants vampires, tout est bien qui finit bien. L’enfant est une créature hybride extraordinaire, mi-humaine, mi-vampire ; on lui donne donc le nom de sa grand-mère humaine, Renée, et celui de sa grand-mère vampire, Esmée, ce qui donne Renesmée . Elle a des dons surhumains et est merveilleuse. Et Bella et Edward ont devant eux une éternité à vivre dans l’amour. Ce qui était impossible est devenu possible.

 

A quel prix ?

Une histoire fantastique jouit-elle de l’immunité devant la critique pour la seule raison qu’elle est fantastique ? C’est bien souvent "l’argument "invoqué : c’est imaginaire, donc on se laisse emporter, on n’a pas à réfléchir. Mais existerait-il des domaines où un homme aurait le droit de ne pas réfléchir ? Lorsqu’il se divertit, l’homme met-il en veille la case "raison"? Pesons bien la réponse à cette question ! L’homme, animal raisonnable, peut-il vraiment se divertir en dehors de la raison, sans se divertir en non-homme ?

L’imaginaire, même dans sa fonction naturelle - donc bonne - d’évasion fait partie de nous-mêmes, il est nous-mêmes. Je suis (du verbe être) mon imaginaire, tout autant que je suis mon corps, mon cœur, mes pensées. Comme tout ce qui est une composante de moi-même mon imaginaire affecte, peu ou prou, les autres composantes de moi-même ; il n’y a pas de paroi étanche entre mon imagination et mon cœur, de même qu’il n’y en a pas entre les autres dimensions de moi-même, car je suis une personne une ; c’est mon âme qui opère cette unité entre toutes mes facultés, et tout ce que fait l’une de ces facultés retentit dans mon âme, c'est-à-dire en moi-même et par là retentit dans toutes mes autres facultés. C’est pourquoi, si je dois veiller avec un soin jaloux sur tout ce qui affecte mon corps, c’est aussi vrai pour mon cœur et aussi pour mon imagination. Car celle-ci n’est pas une sorte de territoire neutre où l’on puisse vivre une autre vie sans incidence sur les autres territoires de la vie réelle ; il ne s’agit donc pas de supprimer l’évasion, qui est nécessaire pour retremper mes forces, mais de surveiller où et avec qui ou avec quoi je m’évade.

Car, mes facultés communiquant entre elles même inconsciemment, si mon imaginaire est resté léger, joyeux, fantaisiste et limité dans le temps, il aura alors accompli sur mes autres facultés son rôle bienfaisant de bouffée d’air revigorante ; s’il a pris trop de place dans le temps, voire toute la place (quand on est tellement "pris" qu’on lit et relit sans pouvoir s’en empêcher une saga….), il s’est hypertrophié au détriment de mes facultés, donc de moi-même. Et si l’histoire dans laquelle il s’est aventuré est viciée par quoi que ce soit, la paroi n’étant pas étanche, mon cœur et ma tête aussi sont viciés, car derrière toute histoire particulière, il y a une idée générale ; c’est le b.a.ba du principe de la littérature. Celle-ci nous conte des récits sur des personnages précis mais ceux-ci nous renvoient immédiatement à nous-mêmes.En effet je suis (du verbe "être") le personnage pendant le temps du récit ; son histoire est la mienne et elle me forme, m’influence ; c’est le processus d’identification, complété lorsque l’histoire est particulièrement prenante, par celui d’"introjection", par lequel je vais, après être "entré" dans la vie du personnage, le faire entrer dans ma vie. Et si ces processus sont possibles et universellement vérifiés, c’est que toute histoire particulière renvoie à un schéma universel. L’histoire d’amour de tel ou tel personnage renvoie à l’amour en général : je me sens concerné par cette idée ou ce schéma universel, et voilà pourquoi j’entre dans cette histoire d’amour particulière qui n’est pourtant pas la mienne.

Ainsi l’imaginaire s’investit dans une histoire particulière et, parce qu’il n’y a pas de parois étanches en moi-même, il dépose dans ma tête et mon cœur, dans ma structure psychologique de fond, l’idée générale, universelle, à laquelle renvoie cette histoire particulière. Une idée générale viciée, voire vicieuse, s'infiltrera donc dans l'esprit, par le prétexte de l’imaginaire, surtout si l'histoire est gentillette.

Il faut donc vérifier ce qui entre dans l’imaginaire, autant que ce qui entre dans la tête et dans le cœur ; dire : "c’est de l’imagination, donc on n’a pas à réfléchir sur ce qu’il y a derrière", c’est abdiquer sa dignité d’homme, d’être doué de raison ; c’est accepter de s’en faire conter par quelqu’un (l’auteur du livre) qu’on ne connaît pas, dont on n’examine pas les dires, dont on reçoit bouche bée et sans aucune défense le contenu de l’imagination ; en somme c'est accepter béatement de "se faire avoir"...

Posons donc les bonnes questions : qu’y a-t-il derrière cette romantique histoire d’amour entre une fille et un vampire ? Ne s’agit-il que d’amour ? Pourquoi des vampires ? et surtout, pourquoi ces vampires-là, "bons", si peu conformes au "vampire traditionnel"(!) ?

 

II/ Une histoire d’amour enivrante

A/ "Un amour de rêve"

L'amour de rêve est indéniablement ce qui comble en premier lieu les ados dans Twilight, surtout les filles. Toutes témoignent ainsi : "c’est l’amour parfait", "l’amour de rêve". Elles s’identifient très facilement avec Bella, qui vit en 2006, a soif de vrai amour, est volontaire et mûre, souffre à cause de sa famille éclatée, ne se prend pas au sérieux et fait preuve d’humour et de force ; ce personnage qui prend sa vie en mains est un modèle bien contemporain, car notre époque valorise le battant, par contraste avec le "looser", comme l’expliquait le frère Lazare de la Mère de Dieu, de la communauté St Jean, dans un article sur Harry Potter(cf."Harry Potter et le Saint Esprit", in Aletheia, 2001, n°19). Et l'identification est ici accélérée par la prise de parole à la 1ère personne de ce personnage principal - narrateur .

Edward, lui, est le garçon rêvé par toute fille ; sa beauté est décrite en des termes hyperboliques qui prêteraient à rire si l’on ne s’apercevait assez vite qu’ils sont délibérément employés pour faire comprendre qu’il s’agit d’autre chose que d’une beauté simplement humaine. Cette beauté est "exceptionnelle", "renversante", "époustouflante"; sa séduction est hors de toute mesure et il en joue sans cesse avec Bella, multipliant les "coups d’œil ravageurs" et les "sourires en coin"; en même temps il se montre très protecteur, attentionné, tendre ; il est totalement "donné" à Bella : jamais une dispute, un agacement, un mépris, une indifférence.

L’amour entre eux est un coup de foudre très puissant, comme le suggère la musique du film lors de la première rencontre. Leur attirance mutuelle est extrêmement forte. Ils vont bien ensemble, s’entendent parfaitement (hormis les discussions et divergences de points de vue sur la question de la "transformation" et du mariage) et cet accord immédiat et instinctif culmine dans leur entente sexuelle au tome 4. C’est donc le couple parfait, du moins tel que le voit (ou le rêve) une naïve adolescente. Cependant aucun détail n’est donné sur ce qui fait, concrètement parlant, leur complémentarité.

Car leur relation consiste beaucoup plus en un échange incessant de caresses et de baisers qu’en une vraie complicité qui serait fondée sur de nombreuses et longues conversations, et/ou sur le partage de grands projets communs. On ne peut s’empêcher à cet égard de les comparer au couple d’ados ridiculisés dans Harry Potter, Ron et Lavande ! ceux-ci, comme Ron l’avoue à Harry, ne parlent pas beaucoup ensemble, car ils sont trop occupés à s’embrasser…Bella et Edward n’en sont pas là, mais il est cependant frappant, au fil des tomes, de relever le nombre de passages qui consistent à montrer Bella lovée dans les bras d’Edward. Les baisers sont légion à partir du tome 2, les caresses pas moins. Ils passent le plus clair de leur temps ensemble, car Edward rejoint Bella dans sa chambre après le lycée et passe la nuit à la regarder dormir blottie contre lui ; elle voudrait bien en profiter pour aller plus loin, mais il refuse catégoriquement, et par là, il la domine. Ces très nombreux passages distillent une atmosphère à la longue trop sensuelle, mais n'est-ce-pas en somme ce dont rêve une très jeune fille (et même une moins jeune… si elle n’a pu ou su dépasser ce stade ): le coup de foudre, la passion mutuelle, l’intensité des sentiments ? Bella bénéficie à la fois de la tendresse d’un homme qui la domine et de l’amour fou de l’amant qui ne vit plus que pour elle.

Reconnaissons qu'il y a une certaine réflexion sur cet amour, au moins en filigrane, dans la mesure où il passe par l’épreuve, les dangers et souffrances vécus l’un par l’autre et l’un pour l’autre, et cela embellit considérablement l’intrigue. La persévérance même d’Edward qui refuse de passer à l’acte avant le mariage, est bien sûr favorablement perçue par des esprits chrétiens ; mais cela aussi sera à examiner, en ce qui concerne les raisons qu’Edward invoque.

Enfin, il faut signaler au tome 4 l’idée bien contemporaine (on devrait plutôt parler du fantasme) d’un amour sexuel vécu dans un continuel paroxysme, jamais rassasié, jamais fini ; car Edward, puis Bella une fois devenue vampire, ont la "chance"( ?) d’avoir une nature qui décuple la capacité de jouissance en général, a fortiori sexuelle ; leurs journées pourraient donc se passer dans ce paroxysme sans limites, sans fatigue, sans conscience du temps qui passe, s’ils ne s’imposaient quelques bornes pour consacrer tout de même un peu de temps à leur entourage.

Leur amour est donc plutôt narcissique et fusionnel.

B/Un amour équivoque

Le narcissisme, une certaine sensualité "avachissante", et le manque de réalisme évoqués sont déjà en eux-mêmes sujets à critique ; mais on les trouve aussi dans toutes ces mythiques histoires d’amour qui traversent notre littérature, de Tristan et Yseult, à Scarlett et Rhett, en passant par Roméo et Juliette, ou les héros des Hauts de Hurlevent (qui sont une référence pour Bella dans Twilight), sans parler des mythes antiques comme celui de Pâris et Hélène… Cependant il y a d’autres éléments chez Bella et Edward qu’on ne trouve pas dans les exemples précédents et qui rendent leur amour bien équivoque.

1) L’attirance chez Bella

Le coup de foudre chez elle est beaucoup plus fort, car d’un autre genre, qu’un coup de foudre "normal"; elle insiste constamment sur le fait qu’elle est "renversée" par la présence d’Edward, "aimantée". Non seulement elle est violemment éprise de lui, mais surtout elle "ne peut pas" lui résister ; dès qu’Edward amorce un geste ou un regard de séduction (i.e. sans cesse), elle est sous le charme, mais au sens propre du terme ; il y a bien entendu de l’humour lorsqu’elle dit qu’elle "craque", mais c’est avec une insistance appuyée, pour ne pas dire lourde, que se multiplient ces séances de regards profonds et désintégrateurs, ces moues et ces sourires séducteurs. Ce n’est pas seulement de la gaminerie ; il la rend folle, sans métaphore ; quand il l’embrasse, elle s’évanouit presque ou bien "l’attaque" en se jetant sur lui. Plusieurs passages décrivent en détails ses tentatives de résistance lorsqu’il commence à la "faire craquer"; aucune n’aboutit car sa volonté est anéantie ; d’où le titre du tome 1 : "Fascination".

Une adolescente ne sera pas mécontente d’une telle fascination, et il conviendra alors de lui faire réaliser ce que ce genre de relation peut avoir d’immature, de primaire, et par conséquent de dangereux et d’avilissant pour une personne humaine : ce qui est instinctif doit être vérifié et canalisé par l’intelligence et la volonté.

Cette annihilation de sa volonté pourrait bien être chez Bella la première preuve que son amour pour Edward …n’en est pas un ; quitte à faire hurler les fans ! car le coup de foudre, la passion, étant de l’ordre du ressenti, ne sont ni bons ni mauvais au départ ; ils le deviennent lorsqu’ils sont assumés c'est-à-dire choisis librement par la raison et la volonté. Qu’en est-il chez Bella ? Le tome 3 est à cet égard très éclairant ; Jacob est en effet celui qui voit le plus clair dans le cœur de Bella ; il sait que Bella l’aime, mais qu'elle est aveuglée par Edward ; il lui fait donc prendre conscience de cet amour. Bella peut alors, théoriquement, choisir en pleine connaissance de cause ; elle reconnaît que Jacob lui ferait plus de bien qu’Edward, et Jacob lui dit : "Il (Edward) est comme une drogue pour toi (…) tu es incapable de vivre sans lui (….) j’aurais été plus sain pour toi". Mais Bella, tout en avouant à Jacob qu’elle meurt d’envie de rester avec lui et de le rendre heureux (ce qui est une définition de l’amour vrai), dit : "c’est impossible et ça me tue. C’est comme Sam et Emily. Je n’ai jamais eu le choix."Et à Edward : "Je ne peux pas vivre sans toi (..) c’est ma seule façon d’exister".

Or Sam est un loup-garou comme Jacob et les loups-garous, dans Twilight, ont la particularité de tomber un jour en amour pour une personne, n’importe laquelle : cela s’appelle une "imprégnation"; le monde entier s’efface à leurs yeux, tous les liens d’affection qu’ils avaient auparavant disparaissent pour se concentrer d’une manière fulgurante, invincible et imprévisible, sur cette seule personne dès le premier coup d’œil qu’ils ont jeté sur elle. Voilà ce que Bella évoque lorsqu’elle compare son attirance pour Edward à celle de Sam pour Emily.

C'est donc fort clair : Bella n’a pas choisi Edward, et elle ne le peut pas.

On peut se demander ce que vaut un amour qui n’est pas le fruit d’un choix ...

 

2) Les relations entre Bella et Edward

Ø     Le fait qu’Edward et Bella n’aillent pas jusqu’à l’acte sexuel est source de grand contentement pour certains parents ; on entend dire : "vous serez contente, c’est une très jolie histoire innocente". On veut bien s'en réjouir ; mais cela ne nous empêchera pas de nous demander pour quelles raisons Bella et Edward attendent avant le mariage .

Constatons d'abord que ce n’est pas le résultat d’une décision prise en commun; car Bella, elle, ne voudrait pas attendre et ne songe aucunement à un mariage "dans les règles"; elle essaie toujours de séduire Edward. Et on ne nous empêchera toujours pas de nous demander, là encore, ce que vaut un amour où une telle décision, dans un domaine si central, n’est pas commune aux deux amoureux.

Et Edward, pourquoi refuse-t-il ? C’est tout d’abord à cause du danger terrible, s’il se laissait aller à ses élans, de ne plus se maîtriser et de mordre, voire tuer Bella. Il est donc présenté comme celui qui se sacrifie héroïquement. Mais cette première raison n’est pas suffisante puisqu’ Edward accepte la relation sexuelle avec Bella après le mariage, alors que celle-ci n’est toujours pas" transformée".

C’est qu’il y a une deuxième raison, exposée au tome 3 ; peu de critiques semblent l'avoir retenue, alléguant surtout le fait qu’Edward, comme tout vampire, jouit d’une jeunesse "éternelle"; il est né il y a 100 ans et obéirait donc aux coutumes de ce temps ; il y a 100 ans, cela ne se faisait pas de mettre la charrue avant les bœufs….Mais le tome 3 nous offre un dialogue tout autre entre Bella et Edward quand ils discutent sur la question du mariage ; Edward est-il en train de "défendre sa vertu"? Cette seule idée qui parait à ses yeux si "démodée", fait pouffer de rire Bella. Or Edward partage son hilarité : non, il ne défend pas sa vertu, mais la sienne à elle, car il pense n’avoir pas d’âme, ou bien que celle-ci est de toute façon damnée, vu ce qu’il est ; mais Bella en a une, dit-il, et si ça se trouve, les dix commandements sont vrais ; il n’en est pas sûr mais "au cas où", il y a des règles à suivre, dont celle de "ne pas forniquer". C’est pourquoi il veut un mariage dans les règles, dans une chapelle, devant un pasteur, etc.….

On le voit, les raisons invoquées par Edward pour s’abstenir d’une relation sexuelle avant le mariage, sont minimales. Et comme Bella n’y souscrit pas, on ne peut pas dire que tout cela soit très convaincant pour donner aux lecteurs de Twilight, en Bella et Edward, un modèle à suivre en matière de sexualité.

 

Ø     Venons-en maintenant à cette attirance qui existe entre eux et dont nous avons déjà signalé la sensualité. Il y a plus que cela, car Edward éprouve pour Bella un mélange explosif entre l’attirance amoureuse et … la soif de sang . Comme tout vampire, il est presque irrésistiblement attiré par l’odeur du sang humain, et tout particulièrement celui de Bella…on aurait envie de dire : pas de chance ! Mais il faut surtout constater que, chez lui, soif sexuelle et soif de sang vont de pair, ce qui nous interdit pour de bon de croire à une gentille histoire d’amour ; cette tendance inextricablement sexuelle et vampirique, sous couvert de fleur bleue, introduit dans la tête et le cœur du lecteur par le biais de l’imagination, la bestialité masquée par la joliesse. Et c’est là le sophisme de fond qui vicie profondément Twilight. Car ce n’est pas au passage seulement que ce "problème" est évoqué ; nous profitons de descriptions répétées de ces élans passionnés qui poussent l’un vers l’autre Edward et Bella, élans qu’Edward repousse ou maîtrise ;" donc, il est héroïque ! "s'exclameront les fans. Ce contrôle de soi provoque l’admiration de tous : Bella, Carlisle, son père adoptif, et les autres. Voilà donc le sophisme : l’amour est impossible entre ces deux êtres ; or Edward le rend possible par sa maîtrise ; donc  Edward est génial. Le problème est ainsi contourné.

Et l’on continue pendant près de 2500 pages d’une histoire particulière à s’imprégner de l’idée générale que l’amour peut aller de pair avec la bestialité . Celle-ci s’accompagne de force détails croustillants sur la vie des vampires qui font délicieusement dresser les cheveux sur la tête : nous en avons évoqué certains en résumant le tome 3 ; de plus, Bella se retrouve au contact de vampires qui sont loin d’être "civilisés", comme les Cullen (la fratrie d’Edward) ; ils ne se passent pas de sang humain, eux… or, il ne s’agit pas là que des "méchants", contre qui luttent les Cullen. Dans le tome 4, les Cullen font en effet appel à tous leurs alliés pour tenter de résister aux Volturri. Ces amis s’entassent dans la grande maison. Et chacun va "chasser" de son côté ; mais seuls les Cullen se contentent d’animaux…Et Bella s’en rend compte ; va-t-elle se révolter, s’insurger contre ces tueries perpétrées contre des hommes, par ses propres amis ? Non : "je m’efforçai de ne pas penser à leurs parties de chasse, ni à leurs victimes."(p. 683) C’est tout… De même, lorsqu’elle s’aperçoit que ses amis les loups-garous ont multiplié leur armée (c’est-à-dire qu’ils ont transformé par leur morsure des dizaines d’enfants…), Bella s’attriste et frissonne : "encore des enfants voués à la mort…" (p. 694). Là encore, c’est tout…

Signalons ici la complaisance appuyée avec laquelle cette relation malsaine entre Bella et Edward est décrite ; or, ce genre d’ambiguïté est propre à faire vibrer une corde très sensible chez une fille : la satisfaction intime et intense de "tenir" à sa merci l’amoureux, de le rendre fou par quelque barrière entre lui et elle, d’être pour lui un danger, une souffrance, d’être désespérément désirée ; c’est une tentation possible chez toute fille car le désir de plaire (naturel, donc bon) chez la femme est vicié en chacune par le péché originel quoiqu’à des degrés divers.

La complaisance est bien là dans Twilight, car si Edward et Bella s’aimaient vraiment, au point de mettre chacun le bonheur de l’autre au-dessus de tout, ayant pris conscience de ce danger terrible ils se sépareraient ; et cette séparation serait la plus belle preuve d’un amour vrai, comme on en a de magnifiques exemples dans la littérature (cf. Le soulier de satin de Paul Claudel) et dans la vie réelle.

On se heurte à ce qui n’est jamais remis en question : ils ne peuvent se séparer, ne peuvent vivre l’un sans l’autre, leur séparation de quelques mois (tome 2) a failli les mener à la mort l’un comme l’autre. On nous objectera que "c’est ça l’amour fou"; mais est-ce un modèle à donner à nos enfants ? Est-ce cela, une vie réussie ? A cet égard, une réflexion approfondie est nécessaire avec nos adolescents pour les aider à se dégager (et peut-être nous-mêmes aussi…) de ce vieux mythe si occidental (et si français !) de l’amour fou comme valeur absolue. C’est l’amour vrai, pas l’amour fou, qui est profond et comblant…or l’amour vrai ne souffre pas l’étrange, le glauque, le bizarre.

Mais comment Edward vit-il tout cela, lui ?

3) Edward

La rencontre avec Bella a été pour Edward une épreuve terrible car il avait réussi au fil des ans (rappelons-nous qu’il a 17 ans mais aussi 100 ans !...) à étouffer sa soif de sang humain . Dès l’arrivée de Bella, il a été si tenté qu’il a dû fuir. Belle réaction puisqu’il a lutté contre lui-même.

Mais…il est revenu ! et pourquoi ? voilà la question à ne pas trop se poser si on ne veut pas voir trop clair. S’il est revenu, c’est que lui non plus ne pouvait pas vivre sans Bella. Il n’y a donc pas plus de choix libre chez Edward que chez Bella.

En effet, voici les paroles sur lesquelles nombre de fans ont glissé :

 "J’ai décidé, puisque je suis voué aux Enfers, de me damner avec application"(…) Je suis las de m’acharner à garder mes distances avec toi. J’abandonne (…) Je renonce à être sage. Désormais, je ne ferai que ce que je veux, et tant pis pour les conséquences."(Tome 1).

Paroles consternantes pour quiconque verrait en Edward une sorte de "saint" à cause de son héroïsme…(ainsi de Bella : "il a l’âme la plus belle qu’il soit" tome 4).

Qui est donc cet Edward ?

 

III/  Le monde des vampires

A/ Une race spéciale

De nombreux détails sont donnés au fil des tomes ; Stephenie Meyer semble avoir imaginé un monde cohérent avec lui-même ; pour résumer, les vampires sont en général des êtres humains qui ont été "transformés" par la morsure d’un vampire, laquelle peut "transformer "ou tuer (on ne dit pas s’il y a un couple originel de vampires…). C’est le cas de Carlisle qui a à son tour "sauvé" d’une mort certaine Edward agonisant dans un hôpital. Cela est donc présenté comme une libération, un salut, par rapport à la mort….Carlisle a ainsi "sauvé" plusieurs personnes qu’il a groupées autour de lui en famille, en clan. D’autres clans existent dans le monde ; tous vivent au milieu des hommes, cachant soigneusement leur vraie nature ; l’histoire est ainsi "revisitée" et on explique par exemple que telle grande hécatombe du XVIIIème siècle, attribuée à la peste, était en fait due à un grand carnage fait par les vampires à l’insu des hommes. Car c’est là la règle essentielle (voire la seule règle) qui régisse ce monde : celle du secret ; les chefs Volturri sont chargés de la faire respecter avec son corollaire, celui de ne pas contracter d’union avec des humains. C’est pourquoi Edward et Bella sont mal vus, ainsi que l’enfant née de leur union, car personne ne sait ce que peut être l’enfant d’un vampire et d’une humaine…

 Cela n’est pas sans faire penser à une thématique déjà développée dans les Harry Potter . Il y a dans l’une comme dans l’autre de ces deux sagas un monde parallèle, mais en même temps mêlé à celui des hommes de telle sorte que ceux qui appartiennent à ce monde (sorciers ou vampires) vivent comme des hommes, au milieu des hommes, mais ont aussi leur deuxième vie ; or, celle-ci est présentée, dans Twilight et dans Harry Potter, comme celle qui vaut la peine d’être vécue, par opposition à la vie banale et insipide des simples hommes (les humains dans Twilight, les Moldus dans Harry Potter).

B/ Un monde valorisé par rapport à la vie humaine ordinaire

La vie ordinaire est très explicitement dépréciée : aucun lecteur, si jeune soit-il, ne passe à côté de ce message ; les compagnons de lycée de Bella sont bêtes, insipides, ridicules : on le voit bien dans le film. Bella les supporte ; elle est en quelque sorte au-dessus de la masse et exprime de nombreuses fois son désir de ne plus être "une bête humaine"(ici, bête = stupide !)."Qu’est-ce que l’état de mortel avait de si formidable ?" tome 1. A côté d’Edward, dit-elle, "j’étais idiote, lente, humaine ".

Par contraste les vampires, loin d’apparaître comme des monstres, collectionnent les perfections, ils sont splendides, sur-intelligents, extrêmement cultivés, artistes, doués en tout ; de plus, ils ont une force et une agilité surhumaines, comme on le voit surtout dans la scène où Edward sauve Bella d’un accident terrible en apparaissant en un éclair à ses côtés alors qu’il était la seconde d’avant à 30 mètres, et en arrêtant d’une main un camion glissant à toute vitesse sur le verglas vers Bella ; ou bien dans la scène de la forêt où il déploie devant Bella sa vitesse et sa force. Les vampires de Twilight n’ont pas besoin de manger, de dormir, ni même de respirer ; ils font semblant. Enfin, ils ont une certaine immortalité.

Nul besoin de prouver après cela que les enfants, s’identifiant avec Bella ou Edward, aient envie de devenir eux aussi des vampires comme eux. "Ce serait bien d’avoir ces pouvoirs", disent les garçons ; "d’être dans ses bras", disent les filles. Les fans vont plus loin : "mords-moi", crient-ils en se précipitant sur l’acteur qui joue Edward lorsque celui-ci fait son apparition.

Le désir de la surpuissance est présent dans toute la littérature enfantine, c’est vrai. Mais cela va plus loin dans Twilight.

C/ Une incitation à passer dans ce monde

Par le biais de Bella on ne parle que de ce passage possible dans le monde des vampires tout au long des quatre tomes de la saga ; celle-ci, on l’a vu, renie en quelque sorte sa condition d’humaine si décevante pour aspirer à vivre avec les vampires une vie tellement plus excitante quel qu'en soit le danger ! Etre vampire donne de tels pouvoirs ! Mais elle a une autre motivation, qui revient comme un leitmotiv : c’est son amour fou pour Edward, qui est tout pour elle, qui est sa raison de vivre. Le romantisme ne contribue pas peu au succès de Twilight, mais tous les lecteurs en conviennent, cela va plus loin que le vocabulaire amoureux "normal ". Bella est vraiment prête à tout, c’est-à-dire à n’importe quoi, pour vivre avec Edward ; elle s’affirme même, à plusieurs reprises, prête à vendre son âme et ce qui est frappant, c’est qu’elle le dit sans métaphore. Par exemple à Edward qui lui oppose l’argument du salut de son âme, lorsqu’elle le supplie de la "transformer", elle réplique : "Je m’en moque, Edward, si tu savais, comme je m’en moque ! Prends-moi mon âme. Je n’en veux pas sans toi. Je te l’ai déjà donnée. "(Tome 2, page 80).

Ainsi, pour elle, cela ne sert à rien de vouloir sauver son âme pour aller au paradis, car le paradis sans Edward n’en est pas un ; c’est lui le seul paradis qu’elle veut ; et elle veut bien être en enfer avec lui, car ce ne sera plus un enfer (tome 2, page 462) ; elle cherche "le visage de celui pour lequel [elle se serait] damnée "(tome 2, p. 247 ). Dans le tome 1, lorsqu’elle reprend conscience après avoir été sauvée par lui, elle entend sa voix qui l’appelle : "un ange m’appelait m’invitant vers le seul paradis dont j’eusse envie" (p 479) et elle continue à dénommer "ange" Edward : "la voix angélique", "s’exclama l’ange", "hurlait l’ange" etc..

Et tout à la fin du tome : "mon rêve, c’est d’être avec toi pour l’éternité."

De nombreuses autres citations du même genre tout au long de l'histoire montrent bien que pour Bella, Edward est "tout" au point que rien ne peut la retenir dans son monde "minablement" humain .Elle ne cherche vraiment qu’une chose, devenir vampire pour être avec lui, alors même qu'il la supplie de "penser à son âme".

Il n’est pas rare de se heurter à des réactions sceptiques lorsqu’on soulève, à propos de Twilight, de tels enjeux ; on a du mal à croire qu’il s’agisse, dans cette saga pour adolescents, d’âme, de ciel et d’enfer. Ce n'est pourtant pas une extrapolation car cela est dit, et de nombreuses fois, dans le texte lui-même ; ce qui nous amène au thème du fruit défendu, non seulement présent dès les premières pages mais évident pour tous ceux qui côtoient les devantures des librairies où Twilight est exposé bien en vue, avec la couverture maintenant célèbre du premier tome.

 

IV/  Le "fruit défendu"

A/ Un thème évident

Une photo, sur fond noir, de deux bras très blancs tendant dans un geste explicite une pomme très rouge, et les titres accrocheurs, "Fascination ", "Tentation "... ne laissent que peu de doute possible là-dessus.

Il suffit d'ailleurs d’interroger les jeunes lecteurs et lectrices pour voir que la référence à la Genèse ne leur échappe pas (au moins pour ceux qui la connaissent un peu !) Le film rend cela lors d’une scène à la cantine : une pomme rouge est tombée à terre, Edward la ramasse et la tend à Bella dans le même geste que sur la couverture du livre. Et l'auteur elle-même (sur son site internet) ne fait pas un secret de cette référence ; il s’agit du fruit défendu, et du symbole du choix .Sur la page de garde on peut même lire la citation mise par l’auteur en exergue du tome 1 : "Mais de l’arbre de la connaissance du bien et du mal, tu ne mangeras pas, car le jour où tu en mangeras, tu en mourrais",Gn. II, 17.

C’est donc bien l’interdit qui est en cause ici. Mais quel interdit ? là encore les adolescents eux-mêmes font tout de suite le lien : c'est l’interdiction pour Bella de passer dans le monde des vampires et/ou simplement d’aimer un vampire.

Or, quelle est la réponse donnée par la saga ? Durant les trois premiers tomes on peut penser qu’il n’y aura pas de réponse claire ; c'est apparemment l'avis de certains critiques qui discernent le thème du fruit défendu accompagné d'un certain brouillage des frontières entre le bien et le mal, soit qu'ils louent ce qu’ils jugent une analyse fine de ce mélange du bien et du mal qu’il y a en chacun de nous ("la part obscure et la part de bien", comme on dit), soit qu'ils déplorent ce brouillage.

Mais c’est à se demander s’ils ont lu la saga entièrement ! Le tome 4 interdit de continuer à parler de brouillage car une réponse est clairement donnée. Le tome s’intitule "Révélation" ; sera-ce la révélation de ce sur quoi on hésitait, de ce qui tentait, fascinait ? Oui. Bella choisit délibérément - et après avoir eu de nombreuses occasions de se reprendre - ce qu’elle sait pertinemment être mal ; mais elle ne l’appelle plus mal, car depuis sa rencontre avec Edward, le bien a nom Edward, et le mal est ce qui n’est pas Edward ; comme le geste d’Edward lui tendant la pomme le montre très bien, ce fruit défendu, c’est lui. Si elle le prend, que se passera-t-il ? La Genèse, citée dans le tome 1, dit "qu’elle mourra."Cela peut être interprété au sens métaphorique (elle aura des ennuis…) mais dans le contexte présent, au sens propre surtout : elle est réellement en danger de mort avec les vampires et même elle perdra son âme si elle devient elle-même vampire.

Or ce n’est pas ce qui se passe.

Révélation culmine en effet dans le chapitre 20, attendu avec impatience pendant des centaines de pages ; c’est là qu’on voit enfin ce qui arrive une fois qu’elle a reçu en plein cœur le venin d’Edward. Ce chapitre porte le titre de "Renaissance"… L’on assiste effectivement à sa naissance à une nouvelle vie, une vie enchanteresse ; Bella est devenue extraordinairement belle, puissante, rapide ; ses facultés sensorielles sont décuplées, au point qu’elle voit, entend, sent bien plus et bien mieux que la pauvre mortelle qu’elle était ; elle vibre à tout, elle vit, enfin…

Quant à l’enfant improbable qu’elle portait, après les craintes terribles que tous avaient à son sujet (que serait-elle ? un monstre ? une semi-humaine ?), elle se révèle être une créature toute nouvelle encore plus douée que ses parents ; elle leur fait même peur par cela même…

Le happy end est dithyrambique : Edward et Bella ont une éternité d’amour devant eux, et leur fille va connaître un destin exceptionnel.

Conclusion immanquable : comme ils ont bien fait de tout risquer ! Quel bon choix a fait Bella ! Comme elle a eu raison de braver les interdits ! L’union avec un être d’une autre nature que soi produit des fruits si extraordinaires ! et devenir vampire, quel bonheur !

Nous en arrivons donc, à la fin de Twilight, à une conclusion non pas seulement différente de celle de la Genèse, mais exactement opposée. Résumons-la : Bella a pris le fruit défendu et loin de mourir, elle s’est ouverte à une vie bien meilleure qu’avant. Donc ce que disait Dieu était faux, et c’est ce que dit le serpent qui est vrai : "mais non, vous ne mourrez pas. Mais Dieu sait que, le jour où vous en mangerez, vos yeux s’ouvriront et vous serez comme des dieux, qui connaissent le bien et le mal. "au sens biblique de "vous déciderez par vous-même de ce qui est bien et mal".

Nous y sommes bien : c'est Twilight ou La Genèse inversée.

B/ Le fruit défendu… pourquoi ?

Le fruit "mangé" par Bella était défendu... Quelle est la valeur de cet interdit portant sur le changement de nature ?

Qu’est-ce que cela a de si important ? Cela mérite quelques éclaircissements, surtout pour les adolescents.

Rappelons tout d’abord que nous examinons ici l’idée qui est "derrière l’histoire", car il est bien entendu que, puisque les vampires n’existent pas (et encore faut-il le réaffirmer à certains adolescents troublés à ce sujet après 2500 pages "vampirophiles"!), la question ne se pose pas de savoir si on a le droit ou non, dans le réel, d’aimer un vampire, et/ou de devenir vampire !

Ce qu’il faut se demander, c’est si on peut, en soi, changer de nature et/ou aimer d’amour un être d’une autre nature que soi…; les deux reviennent à peu près au même car, passé l’éclat de rire à l’énoncé de la question ci-dessus, qui ne voit quels enjeux très contemporains se dessinent ? Nous sommes, répétons-le, sur le plan des idées, et il ne s’agit plus de vampires. Élargissons la question : peut-on changer de nature ? Non, bien sûr ! mais pourquoi ? Qui a décidé pourquoi j’avais telle nature et pas telle autre ? Qu’on l’appelle Dieu, la Nature ou la Nécessité la question demeure : puis-je aller au-delà de ce qui m’est prescrit par cette nature humaine, que je n’ai pas choisie, car elle est un "donné"? Et poursuivons : peut-on changer…d’identité ? de sexe ? de "genre "? nous voilà en terrain bien plus mouvant sur des questions qui, en 2009, sont loin de recevoir une réponse consensuelle. Or, elles sont immédiatement connexes à la question de changer de nature ou pas. C’est cela que nous dénonçons dans Twilight. Ce roman-fleuve "formate", au long de 2500 pages de suspense et d’amourette excitante, l'imagination des adolescents (donc leur cœur, leur esprit, leur structure mentale et psychologique), et les habitue à admettre qu’on peut contourner les interdits les plus fondamentaux ; cela revient à dire que ces interdits sont arbitraires ; passer outre serait possible en droit comme en fait, puisque les interdits ne seraient pas l’expression d’une vérité constitutive de notre être et permettant ainsi l’épanouissement réaliste de notre personnalité.

        Or un interdit n’est valable que s’il découle d’une loi uniquement destinée à faire notre bonheur ; un interdit n’a force de loi, n’a le droit de nous "contraindre ", que s’il nous détourne de ce qui ferait immanquablement notre ruine. Développer mon être dans la nature qui est la sienne dès l’origine, c’est l’épanouir ; vouloir en changer, c’est le détruire. D’où l'existence d'interdits, qui ne tombent pas du ciel, on ne sait pourquoi ni comment, dans un éclat de voix tonitruant, mais qui sont un phare pour éclairer la route de la vie.

Voilà ce que Twilight sape insidieusement dans les jeunes esprits malléables et naïfs. Citons encore Bella dans sa réponse à Jacob : "Que tu sois un loup, je m’en fiche ", et "je me fiche de ce que tu es ! Ce qui me révolte, c’est ce que tu fais ". "Bête ou pas, il restait Jacob ". (Bête au sens d'animal).

Fausse morale, car morale de l’intention et non de l'être. C’est bien ici toute la question de la nature (ce qu’est, au plus profond, un être) qui est sabotée. Bella dit aussi à Edward : "tu es dangereux. Mais pas méchant.". Qu’importe donc pour elle ce qu’est cet être ; tout ce qui compte, c’est qu’il soit "bon". Ici, "bon" veut dire seulement "ayant une bonne intention"; c’est une erreur extrêmement répandue qu’il faut expliquer à nos jeunes. Car au sens premier, être bon c’est être vrai, être ce qu’on est. Et tout le sophisme sous-jacent à Twilight apparaît là : le flou permanent vient de ce qu’Edward n’est pas ce qu’il est : c’est un vampire, mais gentil….Et Bella ne veut pas être ce qu’elle est : elle deviendra donc autre.

Bien entendu, l’objection fusera : "mais alors, il faudrait qu’Edward soit méchant pour être un vrai vampire ?!" Impossible de pousser le raisonnement aussi loin dans le cadre d’une histoire bâtie sur un tel flou puisque les vampires n’existent pas ! Ce qu’il faut voir, c’est l’idée qui se cache derrière ; Twilight fait passer l’idée que l’on peut avoir de très bonnes raisons pour passer outre à ce que l’on est par nature depuis la conception, ou même seulement se lancer aveuglément dans un amour contre nature…

On ne peut que penser alors aux idéologies de plus en plus envahissantes de nos jours, selon lesquelles le sexe ne serait pas une donnée de nature mais le résultat d’un choix ou de conditionnements socioculturels ; à l’idéologie du "gender "(dite "théorie du genre") qui prône le choix par chacun de son identité sexuelle ou de sa "neutralité "; aux déviances comme la zoophilie à laquelle renvoie cette histoire d’amour entre une humaine et un semi loup...

Heureusement, dirons certains, comme les vampires n’existent pas, l’histoire entre Bella et Edward est moins sulfureuse que celle avec Jacob. Mais cela aussi mérite quelque examen, malheureusement…

C/ Des vampires ? vraiment ?

De quoi s'agit-il en fait ? Alors même que tout ce qui a été dit plus haut pourrait suffire à dénoncer Twilight comme une œuvre perverse, on peut se poser aussi cette nouvelle question.

Faisons en effet la liste des caractéristiques qui rendent nos vampires de Twilight si exceptionnels :

1.    ils ne mangent pas, ne dorment pas, ne respirent pas, mais font semblant  pour passer inaperçus

2.    ils se déplacent en un éclair ; ils ont une force et une agilité surhumaines

3.    certains ont des pouvoirs autres comme lire dans les pensées des autres, non de façon précise mais en "gros "; de voir dans l’avenir, cependant d’une façon telle que celui-ci puisse être modifié par la liberté des hommes.

4.    ils sont froids, leur peau est glacée, leur teint est blanc ; Edward est d’une beauté "marmoréenne", avec un corps dur comme de la pierre. Bella parle des caresses glacées d’Edward ; elle se blottit contre son "torse de pierre". ; ils sont fascinants, jusqu’à inhiber la résistance, leur beauté est insoutenable, jusqu’à "faire mal"(sic) ; la voi

x d’Edward est à elle seule "envoûtante", son regard est "dévastateur"(dans un autre sens que le sens amoureux classique).

Or, toutes ces caractéristiques sont celles, non des vampires "traditionnels " (!) de la littérature mais, dans le réel, celles des démons, ou bien des personnes possédées par les démons.

1.    Les démons n'ont pas de corps ; ce sont des esprits purs qui ne mangent pas, ne dorment pas, ne respirent pas.

2.    Les démons donnent aux possédés une force, une agilité et une vitesse de déplacement surhumaines exactement comme celles qui sont décrites pour les vampires de Twilight.

3.    Les démons, ou les possédés à travers lesquels ils s’expriment, ont le pouvoir de deviner, par leur intelligence bien au-dessus de la nôtre, le contenu d’ensemble de nos pensées, exactement comme Edward ; ils peuvent aussi deviner certaines choses de l’avenir, grâce à leur intuition et aux rapprochements de causes et de conséquences qu’ils font avec une pénétration bien supérieure à la nôtre, nonobstant l’intervention de libertés qui peuvent changer cette vision ; c’est tout à fait ainsi qu’Alice, sœur d’Edward, "prévoit" confusément l’avenir.

4.    Les démons peuvent se montrer aux hommes sous une apparence splendide mais c'est une beauté inquiétante et dure (on pense au démon cherchant à éblouir saint Martin par son aspect étincelant, ou prenant la figure du Christ devant saint Padre Pio). Enfin les démons envoûtent ; n’est-ce pas l’état de Bella, privée de toute volonté face à Edward, fascinée par lui ?

 

Dans le Rituel catholique romain, trois critères principaux sont donnés pour discerner une possession diabolique (un seul étant déjà suffisant) : 1- une connaissance que la personne ne peut avoir par elle-même 2- une force physique plus qu’humaine 3- un parler en une langue inconnue .

Certains ne feront qu’en rire. Ceux qui ne rient pas, en revanche, ce sont les prêtres qui doivent affronter, dans le réel et non dans l’imaginaire, des démons au travers de possédés ; ils reconnaissent dans Twilight un véritable tour de passe-passe, puisqu’on y déguise du nom de "vampire" (créature imaginaire) des êtres qui existent, eux. Esprits purs, révoltés volontairement contre Dieu, habités par la haine et cherchant dans leur désespoir à ruiner les hommes qu’ils exècrent.

Pourquoi Bella appelle-t-elle Edward "ange" de façon répétée à la fin du tome 1, comme nous l'avons vu ? Elle le voit aussi comme un "dieu" au début du tome 2. Ne sont-ce là que des expressions hyperboliques habituelles dans la bouche d’une amoureuse de 17 ans ? On nous permettra d’en douter, surtout lorsqu’elle dit, en évoquant ses tentatives de résistance au "charme" d’Edward : "C’était un combat contre un ange destructeur c’était malsain."

Il n’est que de relier tout cela avec la thématique du fruit défendu exposée plus haut, et la "solution" apportée. Ce "fruit défendu" peut renvoyer uniquement (et cela suffit déjà) à une inversion délibérée de la Genèse, chapitre 3, comme on l’a montré. Mais on voit ici que cette inversion est encore plus explicite : le fruit défendu, c’est non seulement ce que défend en général Dieu (ou la Nature), mais c’est aussi le démon lui-même, derrière le masque séduisant d’Edward. L’un de ses noms n’est-il pas "le séducteur"? Il s’agit alors de voir jusqu’où va Twilight : une incitation à passer dans un autre monde; mais quel monde ? Nous avons la réponse : le monde des "esprits", comme on dit maintenant afin d'éviter le terme de "démons" qui sent si fort son Moyen Age obscurantiste. Twilight s’inscrit là dans un courant furieusement à la mode. Le Père Verlinde, spécialiste de la question, mettait déjà sérieusement en garde, dans une conférence sur Harry Potter, contre cette vague post moderne qui, après la destruction, opérée depuis 68, de tous les "schémas traditionnels", entend à présent remplir le vide spirituel et moral par un retour néo-païen aux anciennes divinités déguisées sous d’autres noms, c’est-à-dire aux démons, "diabolisés"(si l’on peut dire !) depuis 2000  ans par l’Eglise, alors que leur fréquentation nous serait si bénéfique...(cf. conférence du P. Verlinde, "Esotérisme, quels dangers ?" réf. BR 1100 Maison Saint Joseph BP16- 69380 Chasselay).

 

Cette perspective d’ensemble éclaire certains passages où l’on parle de religion, mais pour s’en moquer ou la présenter comme dépassée. Dans le tome 1, Edward fait visiter sa maison à Bella ; un grand crucifix est accroché à un mur ; elle s’étonne : que fait-il là ? Edward dit alors : "tu as le droit de rire. Sa présence est, en quelque sorte, ironique" Dans le même tome il est dit du père de Carlisle, pasteur au XVIIème siècle (Carlisle est né en 1640) : "il croyait dur comme fer à la réalité du mal. Il menait des chasses aux sorcières, aux loups-garous et… aux vampires." Ironie du sort : cet homme dont on ridiculise le zèle contre ce qui touche aux démons, a un fils, Carlisle, qui devient vampire ! Mais lui, Carlisle, "n’était pas aussi prompt à voir des démons là où il n’y en avait pas …" Et c’est, bien entendu, cette position-là qui est louée, en la personne de Carlisle, ce "bon vampire" qui sauve des vies, notamment par la "transformation" de ceux qui vont mourir.

Dans le tome 2, Alice, sœur d’Edward, ironise sur la croyance en saint Marcus, un prêtre dont on raconte qu’il aurait chassé les vampires de la ville il y a 1500 ans et serait mort martyr. "N’importe quoi ! "dit-elle. Car les vampires savent bien que si les humains croient depuis 1500 ans être libérés des vampires, c’est en fait grâce aux Volturri qui ont imposé la loi du secret…

En résumé, la religion a fait son temps ; on ne lutte même plus contre elle, car elle n’a plus grand-chose à apporter ; les restes de croyance en un certain au-delà chez Edward sont fort peu solides, comme on l’a vu, et ils sont inexistants chez Bella, même si la problématique religieuse est bien présente dans la saga. C’est qu’il s’agit de passer à autre chose. Puisque les réponses traditionnelles aux grandes questions sont dépassées, intéressons-nous à ces mondes interdits, que l’Eglise pendant 2000 ans a bannis pour assurer sa main mise sur les consciences. Edward et Bella apparaissent comme des rebelles et des novateurs, eux qui ont su courir le risque de mêler leurs destinées (par amour, c'est si beau!), après 2000 ans de séparatisme entre un monde humain et un monde autre qu’humain.

Tome 4, Bella est comparée à une femme "visitée "par un "ange noir"; l’enfant qu’elle en a eu l’a fait mourir en lui déchirant le ventre. Joli thème que celui de l’incube… L'histoire de Merlin est dépassée : sa légende le présente comme l'enfant d’une femme et de Satan, lui aussi, mais sans ces détails morbides et surtout sans cette incitation constante à lui emboîter le pas ; et on est loin de l'histoire de La Belle et la Bête, où la Belle aime la Bête, c’est vrai, mais pour lui restituer son humanité grâce à son amour, et non l’inverse. On pense à la célèbre phrase de Pascal, qui semble avoir écrite à propos de Bella: "L'homme n'est ni ange ni bête, et le malheur veut que qui veut faire l'ange fait la bête"…

 

Pour conclure, nous pouvons dire que devant une histoire si touffue qu’elle décourage de prime abord les essais de discernement, certains éléments révélateurs d’une profonde perversion sautent aux yeux ; et ce sont ces éléments qu’il faut apprendre aux enfants à déceler, dans Twilight comme dans tout ce qui aujourd’hui va dans le même sens que Twilight  autour de nous (films, livres, jeux faisant leurs délices de loups-garous, vampires, sorciers, esprits…) :

· le flou entretenu dans l’intrigue même et ses enjeux,

· le brouillage du bien et du mal,

· les passages morbides, cruels, sauvages,

· la monstruosité masquée sous la beauté.

Tout cela révèle l’empreinte démoniaque, directe ou indirecte. Il ne s’agit pas pour autant de voir le démon partout car ce serait faire son jeu tout autant que de ne vouloir le voir nulle part . Le démon est d’une nature bien supérieure à la nôtre ; mais il n’a sur nous aucun pouvoir si nous ne le voulons pas ; voilà de quoi éviter la panique. En revanche il peut infliger de très graves dommages si nous lui ouvrons volontairement la porte ; c’est donc à nous qu’il revient de ne pas vouloir de lui.

N'est-ce pas risquer de la lui ouvrir que de se laisser naïvement hypnotiser par Twilight ?

                                                                                                                                                                   

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