Mise au point à propos du cannabis
Lien indirect entre le cannabis et le sida
Monsieur, vous avez réagi à ma « lettre à un fumeur de cannabis ». Je vous cite : « Vous laissez entendre dès les premières lignes que le cannabis a été responsable en l'occurrence de la transmission du sida ». Il est vrai que le début de la « lettre » peut laisser croire à un lien entre cannabis et sida. L’exercice de style qui consiste à développer plusieurs dimensions, témoignages, faits et réflexion à travers une courte lettre contraint à des raccourcis dont certains peuvent parfois être mal interprété. Je ne fais aucun lien direct entre cannabis et sida. De nombreux témoignages dans mes livres, articles ou témoignages oraux n’ont jamais laissé le moindre doute à ce sujet et vous êtes le seul à faire cette réflexion.
Mais puisque vous abordez cette question, nous pourrions parler du lien indirect qui existe entre ces deux fléaux. Il se trouve qu’une enquête de l’association AIDES avait conclu que de nombreux rapports sexuels à risque avaient vu échouer un préservatif. Parmi les causes de cet échec était répertorié l’usage de drogue avant le rapport. Il n’était pas question de rapport direct mais de cause d’affaiblissement de la conscience et d’augmentation de prise de risque par un manque de maîtrise des moyens de « prévention. »
Je ne me traiterai pas ici de la question de l’usage du préservatif (j’en parle ailleurs, et notamment dans mes livres)… auquel il vaut bien mieux préférer l’abstinence ou l’engagement dans la vérité et la confiance. Mais, quand je témoigne, je dois souvent prévenir ceux qui peuvent l’utiliser que le risque d’échec est augmenté par la prise de drogues dont le cannabis. Comme un exercice périlleux devient plus aléatoire, et donc plus dangereux, sous l’effet du cannabis.
De toutes façons il est clair que toute drogue affaiblit la volonté, la maîtrise de soi et l’intelligence de la vie, il est donc difficile, voire impossible de construire une vie saine, un amour et un engagement vrais et responsables quand on est peu ou prou dans l’univers de la drogue soi-disant « douce ». Les choses ne sont pas simples, et les irresponsables ne sont pas forcément là où on le croit.
Parler de la drogue en vérité, sans démagogie
Les jeunes devant qui je témoigne et avec qui souvent j’échange ne sourient jamais et sont toujours respectueux de ma démarche et mon discours, même quand ils ne partagent pas mon point de vue. Il faut reconnaître que bien peu d’adultes osent leur parler en vérité, ce qu’ils apprécient d’autant plus même s’ils ne sont pas forcément prêts à le reconnaître en changeant d’attitude.
Je reçois depuis des années de nombreuses confidences dont celles de jeunes dont les parents consomment du cannabis depuis des décennies et qui doivent subir ce choix qu’ils leur imposent. Certains persistent à parler de liberté, mais c’est réellement une addiction qui s’impose à ceux dont on a la charge. J’ai rencontré de véritables souffrances parmi ces jeunes à cause des fragilités des adultes autour d’eux dont certains éducateurs consommateurs qui portent un faux témoignage d’adultes et les influencent négativement.
C’est difficile de devenir adulte, je le sais comme je sais que le cannabis rend la maturité encore plus aléatoire.
Ma consommation de cannabis a très vite dérivé vers d’autres drogues, dans le même milieu et avec les mêmes personnes, comme beaucoup de fumeurs, pourrais-je ajouter. Mais c’est le cannabis qui m’a personnellement posé le plus de problèmes de tous ordres. La distinction entre drogue « dure » et « douce » prenait uniquement en compte le facteur de dépendance physique. Aujourd'hui, cette distinction est abandonnée car elle ne repose sur aucun fondement scientifique ou médical.
Le principe de réalité a fini par s’imposer à beaucoup. Seuls les militants, indécrottables idéologues, n’ont pas varié. Avec eux, la réalité doit toujours se soumettre à l’idée qu’ils s’en font.
L’augmentation du principe actif dans les cannabis actuels est venu encore aggraver la donne comme certains mélanges dont on ignore par avance les effets réels sur chaque personne.
Connaissez-vous le Black Bombay, cannabis coupé à l’opium ou le double zéro, coupé avec de la cocaïne ? Vous pouvez imaginer les effets conjugués. On peut couper le cannabis avec quasiment n’importe quoi qui va aussi être consommé. Les mélanges avec d’autres drogues sont nombreux et les jeunes d’aujourd’hui consomment plus vite et plus fort.
Je vous cite encore : «Je vous propose d'user de discours plus réalistes et plus responsables pour parler aux jeunes du cannabis. Ce genre de propos qui discréditent les adultes et ça ne fait pas de bien à la prévention qui a besoin de plus de mesure et de réflexion. »
Il me semble que vous êtes coupé des réalités. Mesurer les termes à employer, quand de nombreux jeunes autour de vous se mettent dans des états désastreux tous les WE, quand ce n’est pas en semaine, est déconnecté du réel. Et inutile puisque les jeunes que je rencontre reçoivent très bien ce qui est vrai et qu’ils connaissent eux-mêmes.
Quelle est votre formation ? Quelles sont vos sources et votre pédagogie ? J’espère qu’elles sont plus vastes et objectives que la propagande qui sévit sur Internet et dans les librairies généralistes. Il faut chercher et être accessible à un point de vue critique pour trouver la vérité scientifique et humaine du cannabis, ce qui n’est pas toujours le cas des consommateurs plus préoccupés de conforter leur usage que de se remettre en cause.
En les écoutant, on apprend beaucoup, je vous assure. Mais les écouter ne veut pas dire leur tenir ensuite un discours flatteur ou démagogique.
Vous saisissez la nuance ?
Lisez donc un livre intéressant de Jean-Luc Maxence « réponse aux tricheurs de la drogue ». Ce fondateur du centre DIDRO, centre de prévention et de soins aux drogués connaît son sujet. J’ai témoigné à ses côtés et sa fermeté contre les discours fallacieux tenus par certains éducateurs sur le cannabis est sans appel. Je parle des éducateurs qui laissent penser aux jeunes qu’un usage « récréatif » du cannabis puisse être acceptable, si compréhensifs à sa consommation, comme je l’ai constaté, ce qui s’apparente dans les faits à de la démission.
Vous voyez peut-être de quoi je parle.
C’est si vrai que d’aller à contre courant de l’opinion si répandue chez le milieu de la prévention et des soins que le cannabis n’est pas dangereux, sauf quand on « abuse », ferme des portes. Mais en ouvrent d’autres, celles de spécialistes, éducateurs, parents, politiques, jeunes, qui ont conscience du problème et ne se cachent plus la réalité devant l’urgence.
Je vous citerais Renaud Trouvé, toxicologue, formateur en toxicologie à l’université d’Angers. Invité par le Sénat à témoigner en vue de la loi sur la pénalisation de l’usage du cannabis au volant, il a pris le livret blanc « savoir plus pour risquer moins » distribué comme la parole officielle du ministère de la santé et qui plaçait le cannabis comme moins dangereux que le café avec en exergue cette citation définitive, comme les certitudes des idéologues, « une société sans drogue, ça n’existe pas. » Renaud Trouvé devant tous les sénateurs et sous serment a pris ce livre et l’a qualifié de « torrent d’inepties. »
Ce livret résumait bien la pensée officielle de l’époque que peu osait contester ouvertement. Et il a fallu un iconoclaste, traité de tous les noms par certains « spécialistes, » pour casser la baraque.
J’avoue me situer dans cette préoccupation de la vérité et du bien commun. Et pour avoir passé des années entouré de drogués, à Amsterdam ou ailleurs, y avoir perdu des copains et vu souffrir des gens, je pense connaître cette réalité de l’intérieur.
Quand vous dites « Je regrette que vous fassiez des amalgames et des généralités sur la consommation de cannabis, suite à une expérience malheureuse », cela me laisse songeur sur votre état d’esprit. Je vais vous donner quelques exemples, parmi des centaines que je tiens à votre disposition, d’ « expériences malheureuses » avec le cannabis.
D’après une enquête de la gendarmerie dans la région de Bordeaux, dans 25 % des accidents de jeunes en voiture, la consommation de cannabis était présente.
La psychiatrie reconnaît ouvertement la présence croissante de l’usage de cannabis dans le développement de pathologies comme la schizophrénie, la paranoïa, et l’épilepsie pour le système nerveux. Les personnes ayant des prédispositions à ces affections et fumant du cannabis risquent de potentialiser le déclenchement d’une crise. Plusieurs témoignages dont le dernier la semaine dernière m’ont confirmé s’il en était besoin le lien direct entre l’usage du cannabis et la paranoïa ou la schizophrénie. Une pauvre mère a perdu son fils mort suite à un accident au cours d’une perte de conscience de la réalité, dédoublement schizophrénique, et son autre fils prend malheureusement le même chemin. Et encore : une jeune femme suivie en psychiatrie pour paranoïa suite à sa consommation de cannabis ; ce n’est pas le premier cas que je rencontre. Je pourrais aussi parler de ce jeune de 19 ans fumant pour la première fois un « double bang » avec des copains toxicomanes. Réaction immédiate, une crise de stress qui le pousse à sauter par la fenêtre du troisième étage. Réaction connue pourtant, rare mais possible. Seulement, pour savoir, il faut avertir des dangers avant plutôt que de ramasser les victimes après.
Je continuerais avec la citation d’un auteur talentueux qui connaissait le sujet, Charles Baudelaire :
« Le haschich annihile la volonté ; il est une arme pour le suicide ; il est isolant, essentiellement paresseux. À quoi bon, en effet, travailler, labourer, écrire, fabriquer quoi que ce soit quand on peut emporter le paradis d’un seul coup ? Le Haschich appartient à la classe des joies solitaires ; il est fait pour les misérables oisifs. »
Ce n’est pas en qualifiant négligemment d ‘ « expérience malheureuse » celle que j’ai vécu, et dont vous parlez légèrement sans la connaître réellement, que les jeunes seront mieux avertis des risques réels qu’eux peuvent encourir. Et comme pour les rapports sexuels à risque auxquels trop d’adultes se contentent de leur proposer de « gérer», il n’existe pas de service après-vente. Ils sont toujours les seuls à assumer les choix que souvent d’autres ont décidé pour eux en ne leur proposant pas d’alternative et en leur en cachant les risques réels.
Le cannabis est classé avec le LSD comme hallucinogène et provoque de nombreux dommages directs. Perte de mémoire, de motivation, de concentration, diminution des réflexes immédiats, de l’appréciation des distances, augmentation du risque de dépression, problèmes immunitaires et hormonaux, etc..
Si un fumeur de cannabis se tient plutôt tranquille en classe car apathique, il risque clairement de ruiner ses espoirs de donner le meilleur de lui-même. Et la vie ne se résume pas à avoir un métier et gagner de l’argent.
La preuve du succès du cannabis auprès des jeunes, c’est que certains, une fois devenus officiellement adultes, continuent à justifier leur consommation passée, ne parviennent pas à arrêter et restent affectivement et psychologiquement instables.
Un psychiatre, Tony Anatrella, dans un très bon livre « la liberté détruite » parle à leur égard d’ « adulescents ».
Combien de ces adultes retrouve-t-on parmi les éducateurs confronté à des jeunes fumeurs de cannabis ?
Un ami éducateur spécialisé, à l’occasion d’un stage ou un questionnaire leur avait été distribué, avait constaté qu’à la question « avez-vous fumé du cannabis ? », seulement deux sur douze répondaient par la négative !
La question est de savoir combien de ces éducateurs ont cessé dans leur vie et leur tête toute complaisance à l’égard de leur consommation de cannabis ?
Combien d’entre eux ont entendu dans leur formation un autre discours que celui de la complaisance et des études pseudo scientifiques des militants pour la légalisation?
J’ai rencontré de ces éducateurs spécialisés caricaturaux. Celui qui avait dans son bureau accessible aux jeunes un poster géant de Bob Marley fumant un gros joint.
Une autre fois, devant une école, un des jeunes fumait ouvertement un gros joint sans se cacher et les autres avaient les yeux éclatés ; je pensais alors qu’on pouvait leur parler du sujet. L’éducateur spécialisé, du haut de ses préjugés d’ancien caïd d’une cité, considérait que le cannabis n’était pas une drogue et qu’il n’était pas question de dire le contraire à ses jeunes.
Et cette éducatrice de nuit, accompagnant les jeunes sur leur lieu de vie, ou le cannabis était plus que présent y compris le deal incontournable dans le milieu fumeur, et qui me disait de « ne pas diaboliser le cannabis » !!!
J’ai beaucoup d’autres exemples, mais je ne cherche pas à accabler une profession estimable par ailleurs, simplement à montrer une réalité.
Éducateur n’est pas un statut hors d’atteinte de la critique. Pour votre part, j’ignore ou vous vous situez, mais avec votre discours, en passant devant vos jeunes, je n’aurais pas attendu votre soutien.
Mais…Il faudra me montrer comment de telles attitudes peuvent aider des jeunes à arrêter ou ne pas commencer la drogue !!!
C’est inacceptable et insupportable que ces adultes imposent une idée personnelle fausse de la réalité et du bien à ces jeunes. Et contrairement à ce qu’ils pensent, ils ne les aident pas pour autant.
En étant complaisants et complices, ils ne se tiennent pas à leur place d’adultes et n’aident pas les jeunes à trouver des repères stables qui leur permettront de se construire. Sachant que le succès du cannabis sur des jeunes ayant manqué de repères est important, ils n’assument pas leur mission en leur refusant la vérité.
La charité de la vérité, comme nous, catholiques, nous l’appelons.
Au fond, que nous reprochez-nous vraiment ?
N’est-ce pas de ne pas tenir le discours officiel ?
N’est-ce pas d’oser dire ce que tant d’adultes et d’éducateurs ont renoncé à dire ?
N’est-ce pas de proposer aux jeunes une exigence plutôt que de les en croire incapable ?
Sur la nocivité du cannabis, je suis désolé de devoir vous le dire, mais je sais ce que je dont je parle et j’ai beaucoup lu et étudié le sujet.
Mes propos aux jeunes ? Je ne leur manque jamais de respect, ne vous en déplaise. Des écoles et associations m’invitent toute l’année depuis seize ans à tenir ce langage.
Qu’y a-t-il d’irrespectueux à parler franchement de la réalité ?
Nombres d’éducateurs m’en remercient d’ailleurs régulièrement, eux n’ayant peut-être plus cette liberté de le dire eux-mêmes à cause des « chers confrères » qui imposent leur idéologie au nom des bons sentiments.
Je ne critique pas ce qui se fait de bien, je vois simplement les fruits d’une certaine prévention. Les jeunes sont prêts à entendre un discours dérangeant, tant qu’il les respecte non pas dans leur attitude qui peut mériter la critique, mais dans leur dignité.
N’est-ce pas plutôt certains adultes qui ont du mal à tenir ce discours ?
Et je ne vois pas en quoi plusieurs discours différents fondés sur la vérité et cherchant le véritable bien de ces jeunes pourraient s’opposer.
Nous devons aux jeunes la vérité sur des comportements qui peuvent entraîner pour eux des dégâts importants. Ce n’est pas une option parmi d’autres et la drogue est toujours un piège, un mensonge et un échec, n’en déplaise à certains.
Nous n’avons pas le droit de les laisser gaspiller leur vitalité et leur générosité dans des impasses, leur soif d’aventure dans des illusions, leur quête de vérité dans un mensonge.
Je conclurais avec Bernanos ;
« C’est la fièvre de la jeunesse qui maintient le reste du monde à température normale. Quand la jeunesse se refroidit, le reste du monde claque des dents. »
Ne laissons pas notre jeunesse renoncer à donner le meilleur d’elle-même en lui maintenant la tête dans des mensonges illusoires. Demandons à Dieu de nous donner cette force d’oser aimer en vérité, quoi qu’il puisse nous en coûter.
Bien à vous et comptez sur mes prières.
Dominique Morin
Quelques adresse utiles
Communauté Saint Jean Espérance ; Les Besses : 36180 Pellevoisin 02 54 39 03 10- La Bretèche : 49410 Le Mesnil en Vallée 02 41 78 93 18 -Couesmé : 02 47 93 28 74
Communauté Le Cénacle ; Fraternité Vierge de la Divine Providence : chemin des Cousterés 65100 Lourdes :05 62 94 77 27 (Pour les garçons)
Fraternité Sainte Bernadette : 5 rue du Rietord 65100 Lourdes : 05 62 94 24 02 (Pour les filles)
Fraternité Mère de Miséricorde : 15 rue de la Garde 65100 Bartrès : 05 62 42 34 77 (Pour les filles)
Association Le Phare :133 boulevard de la Croix Rousse 69004 Lyon : drogues.familles.free.fr : 04 78 28 26 62
Questionnaire d’auto évaluation de consommation de cannabis
Votre entourage s’est-il plaint de votre consommation de cannabis ?
- Avez-vous eu des problèmes de mémoire immédiate ?
- Avez-vous déjà eu des épisodes délirants lors de l’usage de cannabis ?
- Considérez-vous qu’il est difficile de passer une journée sans « joint » ?
- Manquez-vous d’énergie pour faire les choses que vous faisiez habituellement ?
- Vous êtes-vous déjà senti préoccupé par les effets de votre usage de cannabis ?
- Avez-vous plus de difficultés à étudier, à intégrer des informations nouvelles ?
- Avez-vous déjà essayé sans succès de diminuer ou d’arrêter votre usage de cannabis ?
- Aimez-vous « planer », « être défoncé(e) », « stone » dès le matin ?
- Etes-vous de plus en plus souvent « défoncé(e) » ?
- Avez-vous ressenti le « manque », des maux de tête ,de l‘irritabilité ou des difficultés de concentration quand vous diminuez ou arrêtez l’usage du cannabis ?
TROIS réponses positives ou plus suggèrent un usage problématique de cannabis.
Source :M. Reynaud, In Le courrier des addictions(3), 1,mars 2001
réponse à des questions sur la drogue
J'aurais aimé savoir pourquoi avez-vous commencé à prendre de la drogue?
Il existe plusieurs motifs que je pense avoir identifié et certainement d’autres que j’ignore encore. Combien de jeunes savent vraiment pourquoi ils se droguent ou se sont drogués?
J’ai dix-sept ans à l’époque, aucun projet d’avenir, rien de valable dans ma vie, à mes yeux du moins, et je traîne avec ennui d’un plaisir à l’autre. Je pense n’avoir pas appris à affronter les réalités de la vie face à face. Des idées révolutionnaires, une pensée jouisseuse issue de la mentalité issue de mai 68 me disent qu’il y a un « projet de vie » qui consiste à s’éclater. La drogue est sous-tendue dans les propos de groupes musicaux que j’écoute frénétiquement, les projets contestataires auxquels j’adhère aveuglément s’en servent comme d’un levier subversif. Tout cela est très désespéré et ne mène nulle part, mais je ne réfléchis pas comme ça à ce moment. Je crois que c’est la vision de ceux que je rencontre en train de s’éclater avec un joint qui me fascine. Une fois, deux, trois, je refuse et puis finalement j’accepte, par curiosité imbécile. J’oublie alors toute règle de prudence, mais est-on prudent quand on pense avant tout au plaisir et qu’on est immature comme un adolescent ?
La drogue me donne l’illusion de maîtriser quelque chose, d’avoir une emprise sur ma vie et un projet à court terme, celui de me défoncer. Mes copains, il n’y a pas d’amis dans ce monde, deviennent tous des drogués, mes loisirs tournent autour de la drogue, je n’envisage même plus de faire quelque chose sans la drogue. En fait, je ne fais plus rien que de me droguer, tout le reste, je le vis au ralenti, par obligation. Ma vie devient pour moi un fardeau que je rends léger et supportable avec la drogue.
Je suis devenu un toxicomane en six mois, le piège s’est refermé sur moi sans m’en rendre compte. Pire encore, j’ai couru vers ce piège. Il me faudra huit ans pour aller au bout puis arrêter définitivement. Et j’estime avoir eu de la chance. D’autres autour de moi n’ont jamais arrêté, ont raté des choix importants dans leur vie, où en sont morts.
Mes motivations d’alors, c’est m’éclater et jouir. Je croyais naïvement que je pouvais avoir tout, tout de suite, je n’avais alors aucun idéal ni foi. Plutôt que de régler mes problèmes par la vie, j’ai eu l’illusion de les neutraliser, en fait de les fuir par la drogue. J’étais fragile, paumé, immature, je voyais la vie en négatif, j’étais particulièrement en danger en rencontrant la drogue.
Les effets que cela vous apportait et que vous recherchiez?
Je recherchais des sensations, différentes selon les moments et les drogues que j’ai prises, des expériences nouvelles, une évasion d’un monde gris et terne.
Avec la cocaïne et les amphétamines, l’excitation, la fatigue disparaissaient, je me croyais invincible. Quand le produit avait fini son effet, j’étais lessivé et je n’avais pas vu le temps passer.
Avec l’héroïne, les rares fois ou j’en ai pris, c’était étrange ce qu’on ressent, on est comme dans du coton, à distance de la réalité, beaucoup de plaisir. Vraiment spécial !
Je n’ai pas trop apprécié et la seringue et l’image de cette drogue ne m’ont pas incité à recommencer. La aussi, j’ai eu de la chance.
Avec le LSD, des hallucinations, j’imaginais un monde différent, je perdais le contact avec la réalité. Je n’ai consommé que quelques fois.
Les médicaments détournés avaient des effets déroutants difficiles souvent à maîtriser. Trop incertain pour continuer.
Avec le cannabis, j’ai fait le tour de tout ce qu’il était possible de faire à l’époque, fumer presque en permanence, par tous les moyens, sous toutes les formes, tisanes, gâteaux, en consommer plusieurs jours en continu ou des quantités impressionnantes, des mélanges avec d’autres drogues ou de l’alcool. J’ai même été vivre à Amsterdam pour ne faire que ça. Cela a été pour moi la drogue la plus agréable à mon goût et la plus difficile à quitter.
Huit ans de consommation.
Comment vous en êtes vous sorti?
Grâce à l’engrenage de la violence que je pratiquais alors qui m’a amené à avoir une certaine lucidité à l’occasion d’une grande peur. J’ai fui, simplement tout ce que ce monde représentait. Grâce à ma mère et à mon acte de courage de revenir vers elle, j’ai pu poser mon sac et faire enfin des choix.
Grâce aux ressources que j’ai puisées en moi et qui m’ont entraîné à choisir un chemin tous les jours, j’ai jugé nécessaire de m’éloigner des drogués, pour retrouver mes capacités, réinvestir ma vie, redevenir honnête et loyal envers moi et les autres.
Tout cela m’a aidé à progressivement gagner l’estime de moi et la confiance des autres. Avec une exigence de vie, le sport, des choix sociaux et moraux comme cadre et un projet de vie, la drogue n’avait plus sa place dans mon existence.
La grâce des sacrements, confession et communion, m’ont aidé à ne plus en avoir envie, à nettoyer ma mémoire des souvenirs de plaisir que j’y avais pris, à déraciner en moi des habitudes. Je sais que cet aspect peut être incompris mais il est certainement décisif dans mon arrêt définitif de la drogue fin 1985.
Les conséquences que cela a amené sur votre santé et votre vie?
La première conséquence a été d’y avoir gaspillée mon adolescence, de l’avoir vécu par procuration, d’une façon illusoire. J’ai raté des choix importants pour me construire, des projets, dont je n’ai même pas ressenti le besoin. Je me fichais de tout ce qui me « prenait la tête ». Résultat, à trente ans, j’étais encore adolescent dans ma tête faute d’avoir mûri quand il le fallait.
Il y a des rendez-vous cruciaux pour un jeune qui ne reviennent pas deux fois dans une vie. J’ai fait les plus mauvais choix en refusant de choisir vraiment. J’ai menti en permanence et trompé ceux qui m’aimaient pendant les années drogue. Je ne me suis pas respecté et je n’ai pas respecté les autres. Et j’ai gardé, longtemps après avoir arrêté, la tentation de fuir plutôt que d’affronter les problèmes, d’avoir recours à des produits pour être artificiellement convivial, l’alcool entre autres. Il m’a fallu du temps afin de retrouver la confiance en moi et la volonté d’aller de l’avant. Renouer le lien et familial et social par le travail, faire des projets concrets, m’y a beaucoup aidé.
Pour la santé, j’étais devenu passif, avec une hygiène de vie déplorable et les conséquences que vous imaginez. C’est dans ces comportements dérisoires et pulsionnels que j’ai contracté le sida, par voie sexuelle avec une toxicomane héroïne morte depuis du sida. Je ne l’ai appris que treize ans plus tard.
J’ai dû retrouver mes repères, me muscler et acquérir des règles de comportement, apprendre à faire des efforts et à suivre une morale naturelle exigeante. Cela a été dur, mais enthousiasmant. Puis, quand je me suis converti, cette morale de vie est venue conforter mes choix de catholique.
J’ai gardé une certaine fragilité des voies aériennes, nez, gorges, sinus, depuis cette époque. Mais cela s’est amélioré avec le temps.
Chez certains drogués, d’autres pathologies graves peuvent se révéler avec un usage important. Je ne suis pas concerné.
Et comprenez vous que certains artistes s'en servent pour y puiser de l'inspiration? (Notre sujet de TPE étant sur les artistes qui se droguaient et qui se droguent encore actuellement. Que ce soit peintres, chanteurs/musiciens, écrivains...)
Avant de donner mon point de vue, je voudrais poser quelques éléments concrets.
Aucune drogue n’a la particularité, le pouvoir, de rendre une personne créative. Un crétin drogué reste un crétin, un génie drogué reste un génie. La créativité, le talent ne viennent jamais de l’usage d’un produit, mais d’un don reçu ou développé par le travail.
L’artiste peut souffrir pour créer ou porter un déséquilibre en lui que l’usage de drogue semble atténuer. Mais il s’agit là plutôt de calmer une souffrance que de participer à une quelconque créativité.
Quand Antonin Artaud, poète du début du XXè siècle, s’en prenait à la société qui interdisait l’usage de drogue, il était évident pour tout le monde que cet artiste était instable et déséquilibré. Ce n’est pas un jugement, mais un simple constat. L’image de sa revendication ne pouvait pas influencer la société parce que drogue rimait trop visiblement avec déséquilibre. Le pouvoir des médias par le travail de subversion des jeunes depuis les années 60 est parvenu à modifier complètement cette image en la faussant, avec des arguments malhonnêtes et pseudo scientifiques. Il est devenu impossible de les contester dans les médias et de prouver leurs égarements. Les jeunes confondent donc trop souvent drogue et positif, parce qu’on ne les aide pas à exercer leur esprit critique mais qu’on les flatte dans leur fragilité. Certains finissent peut-être naïvement à force de matraquage médiatique et culturel par croire que c’est la drogue qui rend créatif. Ce n’est en rien fondé sur des faits scientifiques, malgré tous les écrits sur ce sujet.
Le drogué sous l’emprise du produit est souvent incapable de retranscrire ce qu’il a pu ressentir en musique ou texte. Mais aujourd’hui ou tout et n’importe quoi est considéré comme de l’art, souvent sans réel talent, mais aidé par un montage informatique performant, ou par le conformisme artistique moderne qui a créé des dogmes de laideur et de provocation en prétendant transgresser tous les dogmes. Dans ces conditions fallacieuses, certains peuvent penser que d’avoir du talent c’est facile et que tout est de l’art. Il y a effectivement de multiples formes de créativité dont toutes ne sont pas ce qu’on appelle de l’art. Chacun a reçu des dons, qu’il peut développer, mais chez beaucoup cela restera intime.
Or, nous vivons dans la civilisation de l’image et de l’apparence qui fausse tout. C’est beaucoup plus exigeant et moins facile dans la réalité. Et les apparences peuvent être trompeuses ou manipulées. En tout cas, la drogue n’a jamais aidé à créer, peut-être calmé une angoisse d’un côté qui surgissait en créativité de l’autre. Mais on peut considérer alors le recours à la drogue comme un calmant pour un malade, pas comme le révélateur d’un talent.
Si on replace les choses en perspective, la créativité authentique semble plutôt diminuer à notre époque alors que le nombre d’artistes augmente, souvent plus pour exprimer un mal-être personnel sans souci culturel réel sinon la provocation ou un besoin d’être reconnu. Beaucoup de plagiat sans apport nouveau, d’artifices en tout genre, mais la créativité et le talent dans tout ça ne sont pas toujours évidents. Et je reste modéré dans mon propos.
Je dis ça aussi sans juger, mais parce la démagogie ne rend jamais service. Certains s’égarent dans une voie illusoire et les vrais créatifs sont noyés et peut-être découragés dans la masse. La reconnaissance ne va pas forcément à ceux qui la méritent.
Je pense que le recours à la drogue est venu emplir un vide humain, affectif, spirituel propre à notre époque, mais sans jamais parvenir à le combler. La drogue est un symptôme d’un mal de vivre, d’une souffrance, aussi chez certains d’un refus du travail nécessaire pour conquérir son existence et faire de grandes choses de sa vie. Les jeunes n’ont pas assez appris de la part d’adultes doutant trop souvent d’eux ou carrément défaillants ou absents.
La drogue est un mensonge et une illusion, mais ne crée pas, ne résout jamais rien, enferme dans une impasse. Les artistes qui se droguent sont rarement montrés honnêtement dans les conséquences de leur usage de drogue. Combien de morts, de vies brisées, de réussite éclair suivie de déchéance, de gâchis humain ? Tous les Jimi Hendrix, Janis Joplin, Brian Jones, Jim Morrisson, Kurt Cobhain et tant d’autres étaient des blessés de la vie, certes avec du génie, et la drogue après les avoir trompés sur eux-mêmes les a tués.
C’est tout cela qui devrait nous inspirer une réflexion profonde sur la valeur de la vie, l’usage de notre liberté et ce que nous transmettons de nous aux autres.
Que laissent comme message de vie et de joie ceux qui s’appuient sur la drogue pour évacuer leur souffrance ou affirment aux jeunes que de se droguer est une attitude comme une autre ?
Dominique Morin